L’actu des médias, les médias dans l’actu : tel est le propos de cette chronique qui se propose de décrypter ce qui change les médias à l’ère numérique - et donc la façon dont on est informé. Les évolutions technologiques, la crise des modèles classiques, les nouveaux vecteurs d'information... Tels sont quelques-uns des éléments qui seront explorés sur la planète média. Tout en couvrant les grands événements «médias» qui touchent la France, une attention particulière sera accordée à l'actualité internationale des médias, notamment intéressant les pays du Sud. La chronique pourra revenir aussi avec un regard critique sur la façon dont les médias couvrent certains évènements et sur la façon dont les médias sont eux-mêmes transformés par une actualité qui leur est propre. En partenariat avec le magazine «Stratégies». *** Diffusions le samedi (Monde) à 08h20, 19h26. (Afrique) à 08h23.
Le quotidien Le Monde occupe une place singulière dans la presse française. Et ce 18 décembre 2024, il fêtait ses 80 ans.
Le Monde est aujourd’hui un journal consulté essentiellement sur le numérique et diffusé à 500 000 personnes. Mais en 1944, c’est une feuille recto verso mise en page dans les locaux de l’ancien journal Le Temps, rue des Italiens, à Paris. On y compte 40 journalistes contre 540 aujourd’hui.
Son fondateur, Hubert Beuve-Méry, est un résistant qui est aussi un ancien directeur d’études de l’École des cadres d’Uriage, sous Vichy. C’est lui que le général de Gaulle va choisir pour créer un quotidien de référence en se disant qu’il aura ainsi un allié. Or Hubert Beuve-Méry va gagner son indépendance en s’opposant à De Gaulle lorsqu’il est au pouvoir, même s’il a pu se montrer plus compréhensif sur sa politique étrangère. Et au fond, c’est un principe qui n’a pas varié : plus Le Monde s’est trouvé proche des pouvoirs en place, notamment après l’élection de Mitterrand, moins bon il a été.
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Le quotidien a bien failli ne plus être indépendant en 2011 lorsqu’il est racheté par un trio d’hommes d’affaires, dont Xavier Niel, que l’on sait proche de Macron. Mais Le Monde a toujours gardé un droit de blocage de sa société des rédacteurs qui lui a permis de se protéger de tout interventionnisme. La collectivité des journalistes doit même apporter son agrément à tout changement d’actionnaire et de directeur.
Il faut dire aussi que Xavier Niel, qui n’a pas été malmené par Le Monde, lui a apporté les moyens de son indépendance. Avec, depuis avril, une nouveauté : c’est le Fonds pour l’indépendance de la presse qui contrôle Le Monde. Ce fonds prévoit d’ailleurs une enveloppe de 200 000 euros pour soutenir des projets de journalisme.
Jeudi 19 décembre, un article signé Eugénie Bastié dénonçait un « malaise grandissant sur le traitement d’Israël dans le journal ». En cause : le fait que le chef adjoint du service international, Benjamin Barthe, ancien prix Albert Londres, est l’époux d’une Palestinienne rencontrée à Ramallah lorsqu’il était correspondant du journal. Cela suffit au Figaro pour reprendre une campagne à laquelle nous a habitués plutôt CNews avec le soupçon d’antisémitisme, voire de complotisme, dont rendrait compte un mur au Monde avec un autocollant « Stop Génocide ». En réalité, Le Monde a eu un traitement équilibré du conflit, rendant compte de l’horreur du 7-Octobre et documentant le massacre en cours depuis à Gaza. Eugénie Bastié, ancienne de CNews, était elle-même apparue dans un article du Monde en soutien de son directeur Alexis Brézet après une crise au Figaro liée à son refus de choisir le front anti-RN.
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« Fatigue informationnelle », c'est l'expression mise en lumière par une étude publiée mercredi 11 décembre par la Fondation Jean-Jaurès, Arte et l'Observatoire société et consommation.
La séquence politique actuelle peut illustrer cette fatigue ressentie par les Français : l'Élysée annonce qu'il va nommer un Premier ministre dans un délai de 48 heures, le délai est finalement dépassé, et pendant ce temps, des rédactions sont sur le pont ou en émissions spéciales pour broder sur des hypothèses... Cette façon de faire, les Français n'en veulent plus.
L'étude publiée mercredi montre qu'un tiers des personnes interrogées seulement se déclarent intéressées par la séquence politique qui a suivi la dissolution. Et on descend en dessous de ce tiers quand il s'agit de dire que les informations ont aidé à « mieux comprendre les enjeux » ou « à voir les choses de différents points de vue ». C'est plutôt le sentiment d'un trop-plein, d'une répétition ou d'un flux incessant.
Un mois avant les élections européennes, on trouvait moins de quatre personnes sur dix pour dire que les infos les aidaient à prendre une décision. En outre, l'actualité est de plus en plus perçue émotionnellement. Que ce soit pour l'assassinat du professeur Bernard, la guerre en Ukraine, le conflit à Gaza et les émeutes après la mort de Nahel, il y a souvent près de la moitié des Français qui se déclarent angoissés, stressés ou énervés. D'où une fatigue qui est ressentie par 54 % des personnes interrogées.
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L'étude parle de « désengagement » et de « reflux », c'est-à-dire qu'on a recours à moins de canaux pour s'informer — pas plus de trois en général — et l'intérêt pour les médias a baissé en deux ans. C'est particulièrement vrai pour les chaînes d'infos, les émissions d'« actu-divertissement » et même pour les radios. Et ce sont les réseaux sociaux qui en profitent. Les TikTok, Insta, X, Facebook ou YouTube servent de plus en plus à s'informer, en bien ou en mal, puisque plus d'un Français sur deux estime qu'il peine à distinguer le vrai du faux.
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Le désengagement se ressent aussi par une moindre implication dans l'actualité : on partage moins d'infos, on en discute moins avec ses proches et on éprouve moins le besoin de croiser ses sources. En outre, l'information doit se trouver une place dans la bataille des plateformes en ligne pour capter l'attention, et la tentation des médias est alors d'attirer l'œil — ou l'oreille — plutôt que d'informer. Si on est adepte du scrolling, le fait de passer d'une vidéo à l'autre, très fort chez les jeunes, on peut avoir le sentiment d'être le jouet des algorithmes, de se faire voler sa vie. La parade est alors de désactiver ses notifications et de se tenir à distance des réseaux sociaux, mais aussi de l'actualité. Finalement, ce qui ressort de cette étude, c'est que les personnes interrogées aspirent à un peu moins de boulimie et à un peu plus de mesure.
À écouter dans 8 milliards de voisinsFatigue informationnelle : sommes-nous trop informés ?
En Roumanie, le deuxième tour de l'élection présidentielle devait avoir lieu ce dimanche 9 décembre mais ce vendredi, la Cour constitutionnelle roumaine a annulé le premier tour en raison de soupçons d'ingérences russes par le biais de TikTok.
C’est un véritable coup de théâtre qui s’est opéré ce vendredi 6 décembre 2024. La Cour a décidé d’annuler la totalité du scrutin et de relancer le processus électoral. Une décision qui a surpris dans la mesure où elle avait d’abord validé les résultats du premier tour après un recomptage des voix. Mais des documents des services de renseignements ont étayé l’idée d’un rôle massif de TikTok dans la campagne, avec la Russie aux manettes. Face à Elena Lasconi, candidate centriste pro-européenne, ancienne journaliste, Calin Georgescu, candidat surgi de nulle part, a été appuyé par une campagne redoutablement efficace sur TikTok. Or, cet ancien haut fonctionnaire, qui s’est découvert une passion pour les vidéos complotistes pendant le covid, est un admirateur de Vladimir Poutine. Il appelle à l’arrêt de l’aide à l’Ukraine.
La Commission européenne a aussi annoncé jeudi qu'elle intensifiait sa surveillance de ce réseau après avoir reçu des informations sur une possible interférence de la Russie. Bien qu'elle ne se prononce pas sur une éventuelle violation de son règlement, elle demande à la plateforme chinoise de conserver les données qui permettront d'établir une possible manipulation. On trouve d'abord, chez le candidat Georgescu, la diffusion de fausses informations sur TikTok, comme lorsqu'il prétend que les enfants ukrainiens réfugiés en Roumanie reçoivent près de 750 euros d'allocations contre 50 euros pour « un enfant roumain du même âge ». C'est une de ses vidéos les plus vues qui l'ont rendu populaire. Il y a ensuite des choses étranges comme cette centaine d'influenceurs qui ont reconnu avoir été achetés quelques centaines d'euros pour inciter à aller voter en mettant un hashtag « Equilibreetverticalité ». Or ces mots dièse renvoyaient vers la campagne de Georgescu, candidat qui n'a ni parti ni, en principe, de dépenses de campagne.
C'est ce qui rend encore plus suspecte cette offensive éclair. Début novembre, le candidat n'atteignait pas 1% dans les sondages et il finit à près de 23% des voix au premier tour. C'est qu'entre-temps, selon le Conseil de défense roumain, il a bénéficié d'une « exposition massive » sur TikTok tout en n'étant pas étiqueté « candidat politique ». Les 25 000 comptes TikTok sont devenus extrêmement actifs en sa faveur et la mobilisation s'est organisée depuis Telegram. Des logos d'institution ont été aussi détournés pour faire croire à un soutien officiel. Si on ajoute des cyberattaques venues de Russie lors du premier tour, on a là tous les signaux de ce que les spécialistes appellent une « guerre hybride ».
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Le gouvernement de Benyamin Netanyahu prend des mesures de répression à l'égard de la presse libre et de l'audiovisuel public en Israël.
Le ministre israélien des Communications, Shlomo Karhi, cible ceux qui « soutiennent les ennemis de l'État » en s'en prenant au journal Haaretz, véritable institution du journalisme, créé en 1919 sous le mandat britannique. Dimanche 24 novembre, ce ministre venu de la branche dure du Likoud a fait adopter une résolution visant à rompre tout soutien, de quelque nature que ce soit, avec ce journal de centre-gauche, reconnu pour le sérieux de ses enquêtes et critique à l'égard de la guerre menée par Netanyahu.
Haaretz sera donc privé de tous les abonnements des administrations, de toutes les publicités d'État, de toutes les aides publiques. Il est même interdit aux fonctionnaires de lui parler. Un boycott que Karhi justifie par les éditoriaux du quotidien, mais aussi par une intervention à Londres de son éditeur Amos Schocken qui a dénoncé un « cruel régime d’apartheid » imposé à la population palestinienne, tout en évoquant « les combattants de la liberté palestiniens, qu’Israël qualifie de terroristes ». Une expression dont s'est désolidarisée la rédaction, même si ce directeur a expliqué qu'il ne parlait pas alors du Hamas.
En réalité, il s'agit d'un prétexte, car ce que vise Shlomo Karhi, c'est surtout l'expression de voix dissonantes, notamment depuis le mandat d'arrêt émis contre Benyamin Netanyahu par la CPI. Un mandat d'arrêt qui, selon Haaretz, « met à rude épreuve les liens politiques et diplomatiques d'Israël avec ses alliés et change la façon dont il est perçu ».
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L'audiovisuel public est aussi dans le viseur du gouvernement. Et pas dans la nuance. Là, il s'agit, dans les deux ans, de fermer puis de privatiser Kan, la télé publique et ses radios. La proposition de loi du ministre a déjà obtenu un vote préliminaire du Parlement. Au « nom d'une idéologie d'économie libérale », dit-il, il faut en finir avec un média « qui appelle à la haine contre l'État d'Israël » pour recéder les fréquences à des intérêts privés.
Évidemment, une telle disposition illibérale est typique des régimes autoritaires et des mesures préconisées par l'extrême droite. Mais ce n'est pas très étonnant de la part d'un gouvernement qui interdit un média étranger comme Al-Jazeera au nom de la sécurité nationale. Il a même obligé en août Kan, le diffuseur public, à couvrir les frais de diffusion de Channel 14, une télé pro-Netanyahu, en l'installant sur la TNT israélienne. Et il prévoit d'attribuer lui-même les licences de radios, sans passer par une autorité indépendante. C'est le moment de se rappeler qu'Israël se flatte d'être la seule démocratie du Moyen-Orient. Et qu'il n'est pas de démocratie sans médias libres.
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La couverture du dérèglement climatique à l'occasion de la COP29 montre que cette COP a raté son rendez-vous avec les médias.
Il y avait beaucoup de journalistes à la COP29, on en a compté près de 3 000 à Bakou. C'est beaucoup, même si c'est tout de même 1 000 de moins que l'an dernier. Très vite, cette COP en Azerbaïdjan a été parasitée par l'élection de Donald Trump, le premier des climato-sceptiques, qui a promis de sortir son pays de l'Accord de Paris. Puis, il y a eu le G20 et l'importance des questions internationales en Ukraine et au Moyen-Orient.
Mais surtout, c'est le choix de l'Azerbaïdjan qui s'est révélé complétement contre-productif. Non seulement c'est un pays producteur de gaz et de pétrole, ces « dons de Dieu », selon son président, Ilham Aliev, mais c'est aussi un régime autoritaire accusé d'atteintes aux droits de l'Homme au Haut-Karabakh, face à la population arménienne, ou à l'intérieur de ses frontières. Le Commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a ainsi appelé à libérer les journalistes et les militants emprisonnés.
Bakou s'est révélé très vite l'épicentre de tensions diplomatiques beaucoup plus que de convergences de vues. On l'a vu lorsque le président argentin Javier Milei a claqué la porte. Ou lorsque la ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a annulé sa venue après les propos d'Ilham Aliev, accusant la France de crimes en Nouvelle-Calédonie. La question centrale du dérèglement climatique, après l'année la plus chaude de l'histoire, a souvent été masquée par ces incidents.
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Dans l'ensemble, la couverture médiatique n'a pas été à la hauteur des enjeux, même si certains médias, dotés d'équipes conséquentes sur l'environnement, comme Le Monde, ont apporté un traitement éditorial important. Le journaliste de Reporterre, le média de l'écologie, qui est allé en train à Bakou, a pointé les attentes dans les pays du Sud : un impôt sur les ultra-riches face au coût écologique des jets privés, une hausse du financement de la transition climatique avec 1 200 milliards de dollars attendus contre 100 aujourd'hui, la fin de la répression des militants écologistes qui luttent contre la déforestation ou les gazoducs.
Globalement, la COP29 a échoué à mobiliser les médias. En France, on mesure sur le site de l'INA data que le climat est une vague verte qui retombe à partir de 2023 dans les journaux télévisés. Des progrès ont été faits, comme le fait de ne pas illustrer une canicule par un sorbet de glace ou d'associer des catastrophes comme les inondations dans la région de Valence à la question climatique. Mais, on l'a bien vu en Espagne, les gens ne sont pas encore informés à la mesure de l'urgence.
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Le réseau social d'Elon Musk, X, anciennement Twitter, est ostensiblement abandonné par de grands journaux. Après le Guardian, le journal britannique, c'est au tour du quotidien de Barcelone, La Vanguardia, d'annoncer qu'il ne publiera plus de contenus sur X.
Le Guardian avait été très marqué par le rôle du réseau d'Elon Musk dans les émeutes racistes de cet été en Angleterre. La Vanguardia, elle, retient l'influence néfaste de bots indiens qui ont poussé sur X de la désinformation au moment des inondations de la région de Valence. Le Guardian parle de « plateforme médiatique toxique », La Vanguardia de « réseau de désinformation ».
Les deux journaux estiment que les inconvénients à publier sur X sont aujourd'hui supérieurs aux avantages, même s'ils n'empêchent pas de partager leurs articles. Le quotidien britannique dénonce un « contenu souvent dérangeant promu ou trouvé sur la plateforme, incluant des théories du complot de l'extrême droite et du racisme ».
Pendant la campagne, les utilisateurs de X avaient deux fois plus de chances d'être exposés à des contenus pro-Trump, qu'à des sources pro-Harris. Elon Musk a milité aux meetings de Trump, il a personnellement investi 130 millions de dollars dans sa campagne, notamment avec sa loterie et ses chèques d'un million de dollars dans les États clés. Il en a été récompensé en étant nommé à la tête d'un ministère de l'efficacité gouvernementale.
Sur son réseau social, Elon Musk a fait de la libre expression une vertu cardinale, quitte à relayer des infox et des intox, déclenchées par son algorithme. « Le média, c'est vous », a dit Musk à ses utilisateurs. En réalité, le média, c'est plutôt lui, Elon Musk.
Reporters sans frontières a annoncé jeudi qu'elle poursuivait sa société, car X a diffusé, sans modération, une vidéo attribuée faussement à la BBC et reprenant le logo de RSF pour attester d'un prétendu penchant nazi des Ukrainiens.
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Une petite phrase du futur vice-président J.D. Vance, pendant la campagne, n'a pas manqué d'attirer l'attention à Bruxelles. Le recours à « la puissance américaine, a-t-il dit, est assorti de certaines conditions. L'une d'elles est le respect de la liberté d'expression ». Or, X fait en ce moment l'objet d'une enquête de la Commission européenne au nom du règlement sur les services numériques. Imagine-t-on la nouvelle Commission attaquer de front le principal soutien de Trump ? Elle espère surtout du futur président qu'il ne se désengage pas totalement de l'Ukraine et qu'il n'entre pas en guerre commerciale avec l'Union européenne.
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La chaîne de télévision Canal+ a fêté ses 40 ans le 4 novembre. Et aujourd'hui, le groupe affiche de grandes ambitions internationales.
Si on parle encore parfois de Canal+ comme d'une chaîne cryptée, c'est en référence à ses débuts, il y a 40 ans, lorsqu'elle a été la première à se lancer sur un modèle par abonnement. Elle était alors perceptible, avec son floutage et ses grésillements, sur le quatrième canal d'une télévision qui ne comptait à l'époque que trois chaînes.
Son fondateur est André Rousselet qui, en tant que président de Havas, est un proche du président français François Mitterrand. C'est lui qui va faire le succès de Canal+. Il démissionne et est remplacé par Pierre Lescure en 1994, lorsque Canal+ tombe sous la dépendance de la Compagnie générale des eaux de Jean-Marie Messier. Puis, le groupe s'engage dans l'aventure américaine de Vivendi, qui rachète Universal et essuie son premier échec en Italie. Canal+ se redresse et développe ses séries originales sous la présidence de Bertrand Méheut. Ce n'est qu'en 2014-2015 que Vincent Bolloré prend le contrôle du groupe.
Et là, beaucoup de choses changent pour Canal+. D'abord parce que Vincent Bolloré apporte avec lui sa chaîne de la TNT qui va devenir C8. Sous sa houlette, la chaîne d'information en continu Itélé se transforme en CNews. Deux chaînes que le régulateur a plusieurs fois mis à l'amende et qui sont accusées de pencher à l'extrême droite.
Vincent Bolloré fait subir une cure d'austérité à la chaîne Canal+ en supprimant la plupart de ses programmes gratuits comme le Grand Journal ou les Guignols de l'info. C'en est fini du ton libre et décalé de Canal. La chaîne conserve son engagement dans le cinéma mais arrête d'être le diffuseur de la Ligue 1. Le groupe va perdre sa fréquence TNT pour C8. Il se voit désormais d'abord comme un distributeur de programmes à travers MyCanal, qui diffuse les principales plateformes de streaming.
Et c'est aussi un nouvel axe pour Canal+ à l'international, notamment en Afrique. Le groupe était déjà présent en Afrique, mais il se développe en Europe centrale et en Asie. Les deux tiers de ses 26 millions d'abonnés se situent désormais hors de France, où il reste déficitaire. C'est au printemps que le groupe lance une offre publique d'achat sur son rival sud-africain Multichoice, pour s'implanter en Afrique anglophone et lusophone. Il lui reste encore à convaincre les autorités anti-trust à Johannesburg, notamment en montrant qu'il prend des engagements pour le maintien de l'emploi, alors que la loi interdit à une société étrangère d'avoir plus de 20% des droits de vote.
S'il réussit, le groupe arrivera à 50 millions d'abonnés. Il sera coté à Johannesburg, après avoir été coté à Londres à compter de décembre prochain. Un signe de sa volonté d'attirer les investisseurs et de poursuivre ses acquisitions.
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Comment les médias se mobilisent pour couvrir l'élection américaine ? Avec un enjeu pour cette élection, montrer qu'ils ne sont pas que des machines à promouvoir les opérations de com.
On le voit aux spots de pub incessants à l'approche du 5 novembre, notamment dans les États pivot, les fameux « swing states ». Pour une soirée sur la chaîne NBC, vous avez six à huit spots par candidat. Trump s'y présente comme le sauveur de l'Amérique quand Harris met en scène un ouvrier qui vote pour son avenir. Selon le cabinet eMarketer, la communication politique va totaliser 12,32 milliards de dollars de dépenses contre 9,5 en 2020. Une com qui se retrouve aussi sur les écrans à travers la stratégie de Donald Trump consistant à retourner en sa faveur des éléments de discours. Exemple : Kamala Harris dit avoir fait un job d'été chez Mc Donald's. « Elle ment » assure Trump qui apparaît en serveur dans un restaurant McDo. Mercredi, c'est au volant d'un camion poubelle qu'il est apparu pour rebondir sur la gaffe de Joe Biden traitant les supporteurs de Trump d'« ordures ». Une façon de prendre au pied de la lettre le mot du président qui répliquait lui-même à l'insulte d'un humoriste pro-Trump contre des Portoricains. Le candidat a un côté clown, mais il se met ainsi au centre de l'agenda médiatique et oblige la campagne à se définir autour de ses mises en scène. Pour les médias comme les réseaux sociaux, il est alors difficile de ne pas se mettre à la remorque du camion-poubelle.
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Un studio délocalisé à Washington pour TF1-LCI avec 40 personnes sur place. Une centaine mobilisée pour France Télévisions avec un 20 heures de France 2 en direct de New York. 11 équipes de reporters et une quinzaine de figures de l'antenne pour BFMTV. Et pour France 24 qui sera en édition spéciale commune avec RFI dès 19 heures, cette nuit américaine sera francophone avec des partenaires belges et suisses de la RTBF de la RTS. Elle sera aussi diffusée sur les chaînes parlementaires Public Sénat et LCP. L'enjeu est de tenir l'antenne en évitant les pièges de la désinformation sur des tricheries éventuelles alors que les médias américains auront la responsabilité de dire par qui a été remporté un État clé. Pour cela, ABC, CBS, NBC et CNN s'appuient sur un même institut, Edison Reseach, mais aussi sur leurs « decision desks », des équipes de statisticiens. Enfin, il faut compter avec le rôle des grands quotidiens qui avaient appelé, dans leur très grande majorité, à voter Biden en 2020. Cette fois, ni le Washington Post de Jeff Bezos ni le Los Angeles Times de Patrick Soon-Shiong ne se prononceront, en raison de l'opposition de leur propriétaire. Un peu comme si là aussi se jouait une bataille entre deux Amériques : celle des milliardaires contre celle des citoyens.
Le 17 octobre, un journal a été la cible de tirs au Mexique, une attaque qui rappelle que le pays est l'un des plus dangereux pour les journalistes.
Deux véhicules s'arrêtent devant un journal de Culiacan, dans l'État de Sinaloa, bien connu pour son cartel et la violence de ses gangs, le 17 octobre dernier. Et devant ce journal, El Debate, un homme tire une rafale contre les vitres de la rédaction. Heureusement, il n'y a eu aucune victime. Mais cette attaque montre bien que le Mexique de la nouvelle présidente Claudia Sheinbaum, qui a pris ses fonctions le 1er octobre, n'en a pas fini avec les menaces contre ses journalistes.
En 25 ans, 160 professionnels des médias ont été tués au Mexique, selon Frédéric Saliba, l'ancien correspondant du Monde qui vient de publier Cartels aux éditions du Rocher. Cela en fait un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes, même si, il faut le rappeler, le niveau de violence est très élevé pour l'ensemble de la population avec plus de 30 000 morts violentes par an, 450 000 en dix-huit ans. Les reporters sont précisément des cibles à cause de ce qu'ils révèlent de cette violence du crime organisé.
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L'an dernier, Reporters sans frontières (RSF) a recensé quatre journalistes mexicains tués. Et depuis le début de cette année, il y en a eu déjà autant, dont Luis Martin Sanchez Iniguez, du quotidien La Jornada, ou Alejandro Alfredo Martinez Noguez, qui bénéficiait pourtant d'une protection de l'État avec des gardes du corps.
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Reporters sans frontières parle de « spirale incontrôlée contre les professionnels des médias » et relève que le précédent mandat d'Andrés Manuel Lopez Obrador n'a apporté aucune réforme pour lutter contre l'impunité sur ces crimes.
Mario Gomez Sanchez, par exemple, a été assassiné en 2018 dans l'État du Chiapas après avoir dénoncé la corruption et le crime organisé. Trois hommes de mains sont en prison, mais les commanditaires, probablement liés au milieu politique, ne sont toujours pas inquiétés. La collusion entre les autorités et le crime organisé est courante au Mexique.
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La nouvelle présidente a promis d'encadrer le système judiciaire pour assurer de véritables enquêtes sur les crimes commis contre les journalistes, en particulier au niveau local, en lien avec les parquets.
Dans le passé, il y a aussi eu des cas de manipulation de la justice et même des médias audiovisuels Televisa et TV Azteca. L'affaire Florence Cassez, cette Française arrêtée après une mise en scène de l'ancien chef de la lutte anti-drogue, Genaro Garcia Luna, en est une illustration. Il est aujourd'hui en prison aux États-Unis, accusé de complicité avec le cartel du Sinaloa. Il aurait aussi tenté de faire assassiner la journaliste Anabel Hernandez, plume d'or de l'Association mondiale des journaux, qui a enquêté sur lui.
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Le 5 novembre 2024, les citoyens états-uniens voteront pour leur nouveau président. L’une des particularités de cette campagne électorale, c’est que c’est sans doute celle qui est la plus éloignée des grands médias traditionnels.
En 2024, la campagne électorale se tient éloignée des médias traditionnels et pour s'en convaincre, il suffit de regarder le nombre de débats politiques à la télévision entre Kamala Harris et Donald Trump : il n’y en a eu qu’un, le 10 septembre, après le débat Biden-Trump désastreux pour l’actuel président. Depuis, on le sait, Donald Trump refuse tout débat télévisé. Son face-à-face avec la vice-présidente n’a pas tourné à son avantage tant les journalistes de la chaîne ABC l’ont renvoyé à ses mensonges et à ses incohérences.
Kamala Harris a eu recours au réseau social X d’Elon Musk, le farouche soutien de Donald Trump, pour dire qu’elle avait accepté un deuxième débat et une interview sur 60 minutes, de CBS, contrairement à son adversaire, et qu’il fallait donc se demander ce qu’il essayait de cacher. Elle-même s’est rendue sur l’antenne de la très conservatrice Fox News le 16 octobre et elle a joué le jeu d’un vétéran des ondes, Howard Stern, pour dévoiler ses goûts musicaux.
On peut le penser s’agissant de Donald Trump, qui se retrouve à son tour attaqué sur ses capacités cognitives ou son âge. Il n’a sans doute pas envie non plus de répondre au récent livre de Bob Woodward qui affirme qu’il a continué d’avoir une relation avec Vladimir Poutine depuis l’invasion de l’Ukraine. Sans compter les multiples procès dans lesquels il est impliqué. Il préfère donc s’exprimer en public dans ses meetings, sur Fox News ou auprès d’influenceurs comme Andrew Schulz.
C'est un peu comme si la campagne se jouait ailleurs : chez les podcasteurs, les influenceurs, où on peut dérouler son discours sans être contredit. Pour Kamala Harris, qui n’a pas plus accordé d’entretien à la presse écrite, c’est différent. Elle ne veut sans doute pas se laisser enfermer dans une image de candidate des journaux de la côte Est. Pour elle, ce n’est plus la bataille d’arguments qui compte, mais la mise en avant de sa personnalité sur des plates-formes comme Spotify avec la podcasteuse Alexandra Cooper.
Lors du débat des colistiers, le républicain J.D. Vance a pu affirmer : « les règles étaient que vous ne deviez pas faire de fact-checking » à propos des migrants haïtiens illégaux. Vérité médiatique contre-vérité alternative, le camp Trump rejoue le même match.
Au fond, il y a un seul domaine où les médias ne sont pas contestés. C’est celui d’un matraquage publicitaire record. Le camp démocrate aurait collecté près d’un milliard de dollars, et il aurait déjà dépensé deux fois et demie plus que son rival dans des spots télé de trente et même de soixante secondes.
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Il est de plus en plus difficile de couvrir les guerres d'Israël contre le Hamas à Gaza puis contre le Hezbollah au Liban, alors même que se tient en Normandie le prix Bayeux des correspondants de guerre.
À Bayeux, la soirée de ce vendredi était justement consacrée au grand reportage au Proche-Orient. La veille, a été dévoilée une stèle portant les noms de 56 journalistes tués dans l'exercice de leur profession durant l'année écoulée. 56 reporters dont une trentaine de Palestiniens pour lesquels un olivier a été planté. En réalité, selon Reporters sans frontières, ce ne sont pas 30, mais 130 journalistes qui ont été tués depuis le 7 octobre à Gaza et, précise RSF, au moins 32 de ces reporters ont été ciblés et tués en plein travail.
Les bureaux de journalistes locaux de l'AFP ont été la cible de chars israéliens à Gaza ville, en novembre 2023. On sait aussi qu'un reporter de Reuters a été tué au Liban Sud le 13 octobre, après deux tirs de chars blessant également d'autres journalistes. Quatre plaintes ont été déposées par RSF contre Israël devant la Cour pénale internationale.
Et ce qui caractérise le conflit à Gaza, c'est le blackout médiatique imposé par Israël. Selon la presse allemande, c'est sans précédent dans l'histoire récente. L'armée israélienne empêche les journalistes occidentaux de se rendre à Gaza et les rares qui sont autorisés à le faire sont extrêmement encadrés. Le motif officiel est d'éviter qu'ils soient tués, mais c'est surtout une véritable stratégie. Car cette interdiction empêche toute intermédiation occidentale avec les traumatismes, les souffrances inouïes que vit la population gazaouie.
Alors, bien sûr, les rédactions cherchent à contourner ce blocus en sollicitant les sources dont elles disposent sur place ou en vérifiant ce qui arrive sur les réseaux sociaux. Et c'est pourquoi les vidéastes et journalistes à Gaza sont visés, qu'ils soient en train de prendre des images ou, comme tout le monde, de rechercher un toit ou de la nourriture.
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Mais pour la guerre que mène Israël au Liban, il est Impossible d'empêcher les envoyés spéciaux de constater les bombardements à Beyrouth. Les journalistes peuvent mesurer directement l'ampleur des destructions ou le dénuement du million de déplacés. C'est important, car on a vu à travers un sondage récent (Destin Commun) que les deux tiers des Français déplorent l'invisibilisation des morts palestiniens.
Or, invisibiliser, cela permet à l’armée israélienne et à ses porte-paroles de continuer de dérouler sa propagande à travers des discours parlant de « raids terrestres localisés » alors même qu'elle se prépare à envoyer 15 000 hommes au sud du Liban. Une vérité de terrain qui incitera peut-être certains médias audiovisuels à écouter davantage ses reporters que ses éditorialistes.
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