Chaque semaine, la rédaction Europe de RFI, fait le portrait d’un Européen qui est au cœur de l’actualité. Un portrait qui permet de découvrir les acteurs du monde dans lequel nous vivons et d’éclairer les évènements que nous commentons et dont nous témoignons dans les journaux de RFI.
En Espagne, deux semaines après des crues meurtrières qui ont fait plus de 224 morts, un homme cristallise les polémiques pour sa gestion de la crise : Carlos Mazon, le président de la région de Valence, épicentre de cette catastrophe naturelle. Il comparaissait ce vendredi 15 novembre devant le Parlement valencien.
Carlos Mazon a présenté ses « excuses » et admis des « erreurs », mais il ne démissionnera pas. Auditionné pour sa mauvaise gestion de la catastrophe, le comportement du président de région suscite d’autant plus d’indignation que ce 29 octobre, jour où la tempête s’est abattue sur Valence, il était injoignable.
La presse a révélé que Carlos Mazon s’était rendu à un déjeuner avec une journaliste, entre 14 h et 18 h, et qu’il était arrivé à 19 h 30, en retard de plus d’une heure à une réunion avec les secours. L’alerte n’a donc été lancée qu’à 20 h 11, alors que la crue était déjà en cours et que des villes comme Paiporta, épicentre des dégâts qui concentre un tiers des victimes, était déjà inondée.
« Il a menti plusieurs fois sur son agenda, probablement — c’est ce que tout le monde pense — parce que cette journaliste est son amante », indique Guillermo Fernandez Vasquez, politologue à l’Université de Madrid. « Surtout, les gens n’ont pas été avertis et vivaient donc leur vie normalement. Ce qui explique pourquoi, quand ces terribles torrents d’eau ont afflué, de nombreuses personnes sont mortes dans la rue, dans les parkings, chez eux, partout. »
Pourtant, l’agence nationale météorologique (AEMET) avait placé la région valencienne en vigilance rouge pour « risque très élevé », dès 7 h 30 du matin. Il aura fallu 12 h pour que les notifications massives sur les téléphones portables des habitants des zones à risque (système ES-Alert) soient envoyées. Une mesure de prévention qui aurait permis de sauver des vies.
Lors de son intervention de 1 h 30 au Parlement régional ce vendredi 15 novembre, Carlos Mazon n’a pratiquement pas fait d’autocritique sur sa gestion, il ne s’est pas exprimé sur son rendez-vous avec la journaliste et a accusé la Confédération hydrographique de Jucar, un organisme national qui dépend du ministère de la Transition écologique, d’avoir fait un « black out d’information » dans ses communications avec l’administration locale. Le président régional de Valence réclame par ailleurs 31 milliards d’euros au gouvernement pour l’aide à la reconstruction. Près de 300 personnes s’étaient réunies pour demander sa démission.
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Outre cet épisode dramatique, le président de la région de Valence est surtout connu pour ses liens avec Vox, le parti d’extrême droite espagnole. Carlos Mazon est l’un des premiers représentants du Parti populaire, la droite traditionnelle espagnole, à avoir noué une alliance de gouvernement au niveau régional avec cette formation nationaliste farouchement climatosceptique. Un accord qui n’a pas été sans conséquence sur la gestion des crues autour de Valence.
« L’une des premières choses que les deux partis ont signées dans l’accord, c’était d’en finir avec les mesures qui visaient justement à lutter contre le changement climatique », rappelle Maria Elisa Alonso Garcia, spécialiste des partis espagnols à l’Université de Lorraine.
« Avant que Mazon ne soit élu à la tête de la région, il y avait une coalition entre les socialistes et les écologistes. En 2023, ils ont mis en place une unité d’urgence spéciale pour Valence qui cherchait à coordonner les services en cas de crise climatique, d’inondations et d’incendies, explique la chercheuse. Ils avaient même alloué un budget de 9 millions d’euros. Ils avaient trouvé les locaux, les experts, etc. Mais la première chose qu’a faite Mazon en arrivant au gouvernement avec Vox a été de démanteler ce système et de s’en vanter sur les réseaux sociaux, disant que ce projet était du gaspillage des deniers publics, qu’ils allaient utiliser l’argent pour d’autres choses. »
Ces derniers jours, il a également été rendu public le fait qu’un quart des postes chargés de la protection civile et des interventions d’urgence au sein de l’administration de la région de Valence étaient vacants depuis un an et n’avaient pas été remplacés.
La droite et la gauche espagnole s’écharpent sur qui — de la région ou de l’État — est le principal responsable. Carlos Mazon, appuyé par le Parti populaire, ne cesse de mettre la faute sur le gouvernement central, dirigé par un socialiste, Pedro Sanchez, qu’il accuse d’inaction.
Or, l’Espagne est un pays décentralisé, très polarisé, où la gestion de crise est une prérogative avant tout régionale : il aurait fallu que Carlos Mazon déclenche le niveau d’alerte 3 pour obtenir de l’aide du gouvernement. Le président régional de Valence n’a pas signifié qu’il en avait besoin.
De son côté, Pedro Sanchez, le chef du gouvernement n’a pas non plus déclaré l’état d’urgence qui aurait permis d’outrepasser l’autorité de la région. Le Premier ministre espagnol était probablement échaudé par son expérience pendant la pandémie de Covid, quand il était passé en force et avait imposé le confinement aux régions : énormément de tensions entre Madrid et les communautés autonomes avaient paralysé la vie politique pendant des mois.
Derrière la tragédie valencienne, il y a donc des enjeux institutionnels et politiques, qui devraient servir de leçons dans les prochaines crises climatiques.
C'est un virage à droite toute qui se confirme à la tête des conservateurs britanniques avec la désignation de Kemi Badenoch. Âgée de 44 ans, élevée au Nigeria, elle devient la première femme d'origine africaine à occuper un tel poste au Royaume-Uni. Son ambition : relancer un parti très affaibli après la débâcle subie aux dernières élections législatives.
Désignée avec près de 57% des suffrages pour succéder à l'ancien Premier ministre Rishi Sunak, elle promet de revenir aux valeurs fondamentales du Parti conservateur britannique. Députée depuis 2017, plusieurs fois ministre depuis 2019, Kemi Badenoch est l'une des figures d'une aile droite qui a pris le dessus au sein du parti.
« Pour être entendus, nous devons être honnêtes sur le fait que nous avons commis des erreurs et que nous avons laissé nos principes de base nous échapper », a-t-elle ainsi déclaré après sa victoire face à Robert Jenrick, qui s'était, lui aussi, positionné à la droite du parti. Avant d'arriver à la tête des Tories, cette informaticienne de formation a eu un parcours hors du commun.
Aujourd'hui âgée de 44 ans, mère de trois enfants, elle a grandi au Nigeria au sein d'une famille plutôt aisée – son père est médecin, sa mère universitaire. Dans les années 1990, ses parents décident de l'envoyer au Royaume-Uni en raison des turbulences politiques et économiques qui secouent le Nigeria. Et, dès les années 2000, elle s'inscrit au Parti conservateur où elle rencontre son futur mari, Hamish Badenoch, un banquier d'origine écossaise.
Elle va rapidement gravir les échelons au sein d'un parti qui souhaite se montrer plus inclusif sous la houlette de David Cameron. « Il y avait eu un ensemble de dispositifs et de mesures pour promouvoir les minorités ethniques, mais aussi les femmes au sein du Parti conservateur, décrypte Agnès Alexandra-Collier, professeur en civilisation britannique à l'université de Bourgogne. Et on a vu apparaître plusieurs personnalités issues de minorités ethniques comme Priti Patel ou Rishi Sunak, tous deux d'ascendance indienne. Kemi Badenoch parvient à réconcilier ces deux stratégies d'un parti qui se veut inclusif et qui poursuit sa progression idéologique vers la droite de l'échiquier politique. »
Au-delà de ce parcours, il y a la personnalité de la nouvelle dirigeante conservatrice, reconnue pour son charisme et son franc-parler, mais parfois critiquée pour ses déclarations à l'emporte-pièce. « Kemi Badenoch tient des propos assez provocateurs, mais, à la différence d'autres personnalités à laquelle elle est parfois comparée, c'est aussi quelqu'un d'assez réfléchi dans ses déclarations, sans l'agressivité et la virulence que l'on perçoit souvent à l'aile droite de la classe politique », nuance toutefois Agnès Alexandra-Collier.
Sur le fond, Kemi Badenoch propose un retour à ce qu'elle appelle le « vrai conservatisme » : favorable au Brexit, elle veut réduire l'immigration illégale, limiter le rôle de l'État, favoriser les entreprises. Enfin, elle affirme vouloir lutter contre le « wokisme », c'est-à-dire l'influence supposée des idées gauchistes au sein de la société. Et elle met en avant deux modèles : Winston Churchill et surtout Margaret Thatcher, la première femme à avoir dirigé le Parti conservateur (elle fut désignée en 1975) et le Royaume-Uni (de 1979 à 1989).
« La référence à Margaret Thatcher est un peu une référence obligatoire pour tout leader du Parti conservateur, pointe Thibaud Harrois, maître de conférences en civilisation britannique à l'université Sorbonne Nouvelle. Mais c'est aussi une façon pour elle d'assumer cet héritage libéral, de montrer qu'elle ne cherchera pas à transiger avec ce libéralisme, et qu'elle n'est pas du tout dans la lignée plus modérée de certains conservateurs. »
C'est donc un virage à droite assumé que propose Kemi Badenoch avec un double objectif : incarner une opposition frontale au nouveau gouvernement travailliste et reconquérir les électeurs séduits par Reform UK, le parti de Nigel Farage, positionné à la droite des Tories. Un double pari risqué pour la nouvelle dirigeante conservatrice, qui s'est fixé comme objectif de ramener son parti au 10 Downing Street, en 2029, lors des prochaines élections législatives.
Pour ce faire, elle devra remettre sur pied un Parti conservateur qui vient de subir sa pire défaite depuis des décennies – et qui se voit pris en tenaille sur sa droite par le Reform Party, et sur sa gauche par le Parti libéral-démocrate, revenu en force à la Chambre des Communes avec 72 députés. Avec seulement 121 sièges, le parti dont elle prend la direction aura du mal à exister face à un Parti travailliste, qui bénéficie d'une large majorité (402 députés).
Lorsque le Parti conservateur avait abandonné le pouvoir en 1997 au bénéfice des Travaillistes de Tony Blair, il avait mis 14 années à retrouver le pouvoir. La tâche s'annonce ardue pour Kemi Badenoch, qui pourrait bénéficier cependant des débuts plus que laborieux du gouvernement de Keir Starmer, déjà confronté à de nombreuses polémiques depuis que le dirigeant du Labour est entré au 10 Downing Street.
Il est Géorgien et se nomme Bidzina Ivanishvili. Il est l'homme le plus riche du pays et président d'honneur du parti Rêve géorgien, au pouvoir depuis 2012. Il est vu comme l'homme qui tire les ficelles de la turbulente vie politique de ce pays du Caucase déchiré entre l'aspiration à l'intégration européenne et le renforcement de la sphère d'influence russe.
À Tbilissi, il est difficile d'échapper à sa présence pour une raison simple et bien visible : son immense villa s'étale sur une colline dominant le quartier historique de la capitale. On y trouve, dit-on, un héliport, des appartements privés, un bureau panoramique, une galerie d'art où est exposé son Picasso à 95 millions de dollars... Il y a même un zoo privé et un aquarium dans lequel il cajole lui-même, de son propre aveu, un requin et une raie manta.
Le maître des lieux de ce palais de verre et d'acier porte des costumes de prix et des cheveux poivre-et-sel toujours impeccablement brossés en arrière. Calme, assumant une allure un peu pincée de colonel en civil, Bidzina Ivanishvili règne sur sa famille, sur son clan, sur son argent et sur son pays avec la même rigidité. De l'avis de nombre de ses adversaires qui l'ont connu dans le passé, c'est un homme qui aime exercer le pouvoir et qui, pour ce faire, s'appuie sur un entourage obscur. Mais c'est aussi un chef de parti très soucieux de préserver ses intérêts privés.
« Le qualificatif d'homme politique ne convient pas toujours à Ivanishvili parce que c'est une personnalité de l'ombre, explique ainsi le politologue Thorniké Gordadzé, enseignant à Sciences-Po, qui a été ministre dans le gouvernement ayant précédé l'arrivée en politique de l'oligarque. C'est quelqu'un qui déteste les réunions, qui n'aime pas parler aux diplomates et qui préfère rester chez lui. En revanche, il a un contrôle total à la fois sur le parti et le cabinet des ministres qui étaient ses anciens employés : son ancien garde-du-corps a été ministre de l'Intérieur puis chef des renseignements, son avocat ministre de la Justice, le dentiste de son épouse ministre de la Santé… Et on peut multiplier les exemples. »
Bidzina Ivanishvili dirige donc, de fait, les gouvernements successifs de la Géorgie depuis 2012. Et c'est lui qui, à l'aide de sa machine électorale et de ses obligés, a engagé la Géorgie dans la voie actuelle.
Vers quel but ? Après avoir voté le 26 octobre au milieu d'une violente bousculade de journalistes et de garde-du-corps, il a formulé ainsi ce qui, à ses yeux, était l'enjeu des législatives, qui sont depuis si controversées : « Soit nous choisissons un gouvernement qui vous servira, vous, le peuple géorgien, la société géorgienne, notre patrie, et s'occupera réellement de notre pays, soit nous choisissons des agents de l'étranger qui ne feront qu'obéir aux ordres de pays étrangers. »
Des forces occultes seraient donc à l'œuvre, selon lui, pour pousser la Géorgie à la guerre, comme elles auraient poussé l'Ukraine à la guerre en 2022 : tel était d'ailleurs son axe de campagne, telle est son obsession, tel est son croquemitaine préféré.
« L'homme est assez friand des théories du complot, explique Thorniké Gordadzé. Comme lui-même adore être dans l'ombre, il pense que le monde est gouverné par un nombre restreint de personnalités qui n'apparaissent pas : il le nomme le "Parti global de la guerre". Ce petit nombre contrôlerait Joe Biden, Ursula von der Leyen et la plupart des dirigeants et des chefs de gouvernement européens. Et dans cette configuration, il serait la seule personne qui protégerait la Géorgie d'une nouvelle guerre contre la Russie. »
La Russie, qui occupe encore une partie du pays depuis 2008 et qui est dans toutes les têtes en Géorgie, est en effet l'autre patrie de Bidzina Ivanishvili. Champion de la libre entreprise et de l'Europe hier, célébré par les milieux d'affaires occidentaux, il a même eu, pendant un temps, la nationalité française. Ce fils de mineur a bâti sa fortune à Moscou dans les années 1990, les grandes années du dépeçage de l'Union soviétique. Et de l'avis des bons connaisseurs du pays, on ne sort pas indemne ou totalement affranchi du Kremlin.
Pourtant, ses partisans et lui-même se taisent obstinément sur le sujet. Alors, son penchant pour Moscou ne serait-il qu'une rumeur malveillante ? Non, il s'agit d'un projet politique, estimait la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili. Les prochaines étapes pour son parti et lui, a-t-elle ainsi déclaré le 29 octobre 2024 sur RFI, « ils les ont annoncé au cours de la campagne électorale : l'arrestation des opposants, l'interdiction des partis politiques d'opposition, la mise en œuvre ''rigoureuse'' – comme ils disent – de la loi russe sur les ''agents étrangers'' qui pratiquement revient comme en Russie à la mise à pied et le placement sous contrôle de la société civile dans ses différentes formes, les ONG, les organisations humanitaires ou les médias... Et voilà, c'est bouclé, c'est un régime russe. »
Un régime, donc, qui serait au service exclusif de l'empire politique et financier de Bidzina Ivanishvili. On comprend pourquoi le site Politico le surnomme « l'homme qui s'est acheté un pays ».
C’est un second tour très délicat qui se profile le 3 novembre prochain pour Maia Sandu, la présidente pro-Europe de la Moldavie. Arrivée en tête du premier tour de l’élection présidentielle, le 20 octobre dernier, Maia Sandu est fragilisée par la victoire étriquée du référendum sur l’Union européenne organisé le même jour : seulement 50,4 % des voix en faveur de l’Union européenne.
C’est seulement au bout d’une nuit électorale éprouvante pour les nerfs que le verdict est tombé, avec une victoire du « oui » sur le fil du rasoir, obtenue grâce à l’apport tardif des voix de la diaspora. Pour le camp pro-européen, l’essentiel est sauf puisqu'avec ce « oui », l’objectif d’adhésion à l’Union européenne sera bien gravé dans le marbre de la constitution moldave.
Mais l’impact politique de ce vote étriqué sera forcément négatif, tant la présidente s’était personnellement impliquée dans la bataille du référendum. Maia Sandu ne s’y est pas trompée, qui fustigeait dans le courant de la nuit, alors qu’un décompte encore provisoire accordait la victoire au « non », une « attaque sans précédent contre la démocratie, à coups de désinformation et d’achat de voix. »
Aujourd’hui âgée de 52 ans, Maia Sandu conserve toutefois une base électorale importante - elle a tout de même obtenu 42 % des voix au premier tour et elle reste aux yeux de ses électeurs une présidente à la fois intègre et compétente. « J’ai voté pour elle parce qu’à mon avis, c’est la présidente idéale pour la Moldavie, nous confiait avec enthousiasme Tatiana, une habitante de Chisinau rencontrée lors de la journée d’élection du 20 octobre. Elle est intelligente, elle parle plusieurs langues, elle a rencontré les plus grands dirigeants de la planète. Et puis elle est intègre ! Elle se bat contre la corruption dans tous les domaines. »
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De fait, cette ancienne économiste de la Banque mondiale a un CV impressionnant et continue de vivre simplement, dans le modeste appartement qu’elle occupe avec sa mère. Les détracteurs de Maia Sandu lui reprochent cependant de ne pas avoir mesuré les conséquences de l’inflation qui a suivi la guerre en Ukraine (29 % en 2022).
« Elle devait augmenter les retraites, mais ce sont les prix qui ont augmenté, souffle Parascovia, une ancienne institutrice de 76 ans qui a été obligée de reprendre un travail pour subvenir à ses besoins. « Moi, j'ai travaillé plus de 40 ans et maintenant, j'ai une retraite de 4 300 lei [environ 200 euros, NDLR] ! Comment pourrais-je payer mon loyer, acheter mes médicaments ? Maia Sandu n’a pas tenu ses promesses et elle m’a beaucoup déçue. C’était des paroles, beaucoup de paroles, mais pas de résultats. »
Lors de son élection en 2020, Maia Sandu s’est engagée à réformer la justice et à combattre la corruption. Elle se présentait comme une candidate favorable à l’Europe, mais n’a pas tout de suite rompu avec la Russie. « À partir de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022, la Moldavie ne pouvait plus rester à l’écart et rester amie avec tout le monde, l’Occident et la Russie, ce qu’elle faisait depuis son indépendance, il y a 30 ans, se rappelle Vladislav Kulminiski, ancien vice-Premier ministre de Maia Sandu. Dès lors, son discours et son attitude ont changé : elle a dit que la menace venait de la Russie et que pour préserver la paix en Moldavie, il fallait rejoindre l’Union européenne. »
Sandu rompt alors avec la Russie, se tourne résolument vers le camp occidental et voit son activisme diplomatique couronné de succès, puisque l’Union européenne accepte d’ouvrir des négociations d’adhésion avec la Moldavie en juin dernier.
Revers de la médaille, ce choix pro-occidental suscite l’inquiétude d’une partie de la population, attachée à la neutralité de la Moldavie. « La propagande russe a imposé l’idée que l’UE veut dire l’Otan, décrypte Catherine Durandin, professeur honoraire à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). La propagande insiste sur le fait que l’UE va entraîner la Moldavie dans la guerre en Ukraine. Or, la population veut la paix à tout prix et a peur de ce glissement vers l’UE et vers l’Otan. »
Autre angle d’attaque du camp pro-russe, tout comme en Géorgie : l’idée qu’une adhésion à l’UE menacerait les valeurs traditionnelles – valeurs fondées sur la religion orthodoxe et une conception conservatrice de la famille. « L’Union européenne est présentée par la propagande pro-russe comme un monde décadent qui rendrait obligatoire, par exemple, les mariages homosexuels, pointe Catherine Durandin. L’UE est également associée à un irrespect des valeurs familiales. Et la propagande insiste sur la vie privée de Maia Sandu qui est une femme célibataire et sans enfants. »
Le second tour qui aura lieu le 3 novembre prochain s’annonce d’autant plus délicat pour Maia Sandu qu’elle ne dispose que d’une très faible réserve de voix. Tandis que son adversaire, l’ancien procureur général de Moldavie Alexander Stoianoglu, va pouvoir compter sur le ralliement de quasiment tous les candidats défaits au premier tour, favorables comme lui à une relation apaisée avec la Russie.
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Elle vient tout juste d’avoir son diplôme mais elle a déjà une sacrée expérience politique. Dasha Navalnaïa est notre Européenne de la semaine. La fille aînée d’Alexeï Navalny, l’opposant russe mort en détention en février dernier, s’est engagée dans le prolongement du combat mené par son père jusqu'à prêter main forte à la campagne de Kamala Harris.
En 2023, âgée d’à peine 23 ans, Dasha Navalnaya donne une conférence Ted en Géorgie et se met dans les pas de son père. Alexeï Navalany était à l’époque encore en vie dans sa prison : « Si être la fille de mon père m'a appris quelque chose, c'est de ne jamais céder à la peur et à la tristesse. La Russie est ma maison et je vous le promets : je continuerai à m'exprimer, à dire la vérité et à me battre jusqu'à ce que la Russie devienne un pays libre et démocratique. Libérez Alexeï Navalny ».
C’est aussi elle qui reçoit au nom de son père le prix Sakharov au Parlement européen en 2021. Très jeune mais déjà très politique. À tel point qu’elle est aujourd’hui l’une des rares voix de l’opposition russe en exil.
Son vrai prénom est Daria mais tout le monde la connaît sous son diminutif Dasha. Elle vient de finir ses études dans la prestigieuse université américaine de Stanford en Californie après une enfance évidemment particulière. La première fois que la police est entrée dans l’appartement familial, elle avait 10 ans. « C'est l'engagement politique de son père au péril de sa vie qui est le fait le plus marquant de cette enfance », note Cyrille Bret chercheur à l’institut Montaigne, spécialiste de la Russie. « Cela détermine sa prise de position dans la politique russe bien sûr, mais aussi dans la politique américaine ». Son diplôme de psychologie et de sciences politiques en poche, Dasha Navalnaya a fait un choix surprenant : elle vient de s’engager pour Kamala Harris. Pour s’occuper de sa campagne en Pennsylvanie comme nous l'apprend le journal britannique The Times.
Dasha Navalnaya est « field organiser », une coordinatrice sur le terrain chargée d'organiser la mobilisation des électeurs et l’animation des sections locales du parti démocrate. Depuis le mois d’août, elle s’est engagée en Pennsylvanie, un État clé pour l’élection de novembre. Un premier job annoncé discrètement sur son compte Linkedin. Si elle n’a pas soutenu officiellement Kamala Harris, c’est quand même un choix surprenant, même pour le chercheur Cyrille Bret : « c'est évidemment un engagement politique dans la continuité des valeurs défendues par son père. Mais en même temps, c'est une façon de s'ancrer dans le paysage politique américain, ce qui risque de la discréditer assez durablement sur la scène politique russe ».
À l'étranger, c’est déjà l’une des principales figures anti-Poutine, aux côtés de sa mère. Dasha Navalnaya a donné plusieurs interviews marquantes, au magazine allemand Spiegel ou la télé américaine CNN. Elle a aussi mené une série d’entretiens très politiques avec des jeunes sur sa chaîne YouTube. Mais c’est surtout sur son compte Instagram et avec ses 264 mille followers que Dasha partage sa vie quotidienne d’une jeune de son temps, malgré les menaces qui pèsent sur elle. Alors peut-elle vraiment jouer un rôle politique en Russie en vivant aux États-Unis ? « Si elle voulait jouer un rôle politique actif en Russie, c'était plutôt le chemin du martyr de son père qu'il aurait fallu suivre », relève le chercheur Cyrille Bret. « Pour qu’une figure de ce type-là, de l'exil, diplômé de Stanford, ait un rôle politique en Russie, il faudrait tout simplement qu'il y ait un changement de régime à Moscou ». On se pose la même question pour sa mère Ioulia. Et c’est difficile de mesurer auprès des Russes l’impact des prises de paroles de la veuve de Navalny, qui vit cachée quelque part en Europe. Pour Cyrille Bret, les jeunes russes, même s’ils entendaient Dasha Navalnaya, ne la suivraient probablement pas : « La population jeune des grands centres urbains de Russie est évidemment plus enclin à rejoindre la contestation du régime. Mais c'est intégralement une génération Poutine. C'est Vladimir Poutine qui a façonné la culture politique du pays. Et cette culture politique est aujourd'hui faite pour rendre inaudible toute parole qui viendrait de l'étranger ». Dasha Navalnaya, elle, l’assure, elle retournera vivre un jour à Moscou, sa ville préférée.
Il avait choisi de prendre les armes contre son propre pays pour défendre l’Ukraine. Et sa mort sur le front, dans la région de Kharkiv, a suscité une immense émotion dans les rangs de l’opposition russe. Ildar Dadin était en effet une figure emblématique de la lutte contre Vladimir Poutine, des premières manifestations contre les fraudes électorales au refus de la guerre en Ukraine.
Mort les armes à la main contre les soldats de son propre pays, Ildar Dadine était devenu un symbole de l’opposition russe bien des années auparavant. En 2015, il fut le premier à être condamné à une peine de prison ferme simplement pour avoir manifesté dans les rues de Moscou. Deux ans et demi de prison en vertu d’un article du code criminel russe adopté sous la pression de Vladimir Poutine. L’arrestation et la condamnation d’Ildar Dadine sera le signe avant-coureur de la machine répressive qui allait progressivement broyer l’opposition russe.
« Ildar Dadine était un militant acharné contre l’injustice et pour la défense des droits et des libertés en Russie », témoigne Olga Prokopieva, présidente de l’association Russie-Libertés. « Et pour avoir manifesté à plusieurs reprises il a été condamné à plusieurs années de prison. Pour nous, il incarnait la résistance non-violente face à fraudes électorales et à la dérive répressive du régime poutinien. » Le symbole est tel que l’article 212.1 qui permet à la justice de condamner un individu pour avoir manifesté à plusieurs reprises sans autorisation préalable sera surnommé « loi Dadin » par les opposants et les médias russes.
Né en avril 1982 dans la région de Moscou, Ildar Dadine devient agent de sécurité après son service militaire et se met à militer au début des années 2010. Comme il le raconte lui-même dans un entretien accordé des années plus tard à l’ONG russe OVD-Info, ce sont les fraudes électorales qui le poussent à s’engager. « J’ai manifesté pour la première fois sur la place Bolotnaya à Moscou, en décembre 2011… J’étais indigné par la victoire frauduleuse de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine, et j’avais réalisé que nous étions trompés par le pouvoir ».
Cet engagement le conduit en prison où il sera battu et torturé – simulations de noyade et menaces de viol, des sévices qu’il dénoncera publiquement. « À cette époque-là, les mauvais traitements s’appliquaient surtout aux prisonniers de droit commun, qui avaient peu accès à des avocats et encore moins aux médias », explique Anne Le Huérou, maîtresse de conférence à l’Université de Nanterre, et spécialiste de la Russie. « Ildar Dadine, lui, était déjà un petit peu connu, il savait que des organisations existaient qu’ils pouvaient solliciter, comme le Comité contre la torture… Il n’a pas eu peur, il a réussi à rendre visible son cas et à décrire de manière très précise tout ce dont il a été victime ».
Sa détention et les sévices qui lui ont été infligés ne brisent pas sa détermination et sa volonté de résister au régime poutinien. Et il continuera de militer et de manifester dans les années qui suivent sa libération. Puis, le 24 février 2022, Vladimir Poutine lance l’invasion à grande échelle de l’Ukraine. Comme nombre d’opposants à la guerre, sur lesquels plane désormais le risque d’une condamnation à plusieurs années de prison, il se résout à fuir la Russie. Il passe par la Pologne puis se rend en Ukraine où il s’engage, sous le pseudonyme « Ghandi », dans les bataillons de volontaires russes.
« Il a pris les armes tout en disant qu'il était pacifiste, qu’il détestait l'idée de tuer quelqu'un, mais qu’il devait s’opposer de la façon la plus efficace possible à un mal aussi immense que celui représenté par la Russie lorsqu'elle attaque l'Ukraine, pointe Cécile Vaissié, professeure en études russes à l’Université de Rennes-II. « Et il avait cette phrase : "la seule façon que je vois de s'opposer aux crimes commis par la Russie, c'est malheureusement de tuer le tueur"… Il aurait pu rester tranquillement dans l'immigration, il aurait pu rester à Varsovie comme d'autres le font encore maintenant. Mais il a dit qu’il se devait de prendre la défense du plus faible, y compris quand il s'agit de se battre contre les troupes de son propre État ».
Pour se battre, Ildar Dadine rejoint le Bataillon de Sibérie puis il intègre la Légion liberté de la Russie, un groupe de volontaires russes qui veut défendre l’Ukraine bien sûr mais qui veut également préparer la chute de Vladimir Poutine. À leurs yeux, seule une défaite militaire de la Russie pourra permettre de renverser le président russe et son régime – et la guerre en Ukraine ne serait de ce point de vue que le prélude à cette lutte armée sur le sol russe. Une stratégie qui suscite un vif débat au sein de l’opposition en exil – ce qui ajoute aux divisions qui contribuent à l’affaiblir.
« Certains leaders de l'opposition se sont positionnés pour un soutien à cette lutte armée - y compris financièrement pour ceux qui en auraient les moyens – et c’est le sens de l’appel lancé récemment par Gary Kasparov, décrypte Anne Le Huérou, de l’Université de Nanterre. « Mais d’autres sont résolument contre, et estiment qu'il n'y aurait rien de pire que d'ajouter une guerre civile à cette guerre d'agression que mène la Russie. Ceux-là considèrent que ce n'est tout simplement pas possible aujourd'hui de vaincre le régime de Vladimir Poutine par une résistance armée ».C’est le cas notamment, des partisans d’Alexeï Navalny. Mort en prison en février 2024 l'opposant avait toujours refusé de lancer des appels à l’action violente et prônait une contestation pacifique du pouvoir en place. Loin des débats et des dissensions qui agitent aujourd’hui l’opposition russe en exil, Ildar Dadine avait choisi d’agir, au péril de sa vie. Son itinéraire de militant l’aura conduit des rassemblements pacifiques de l’hiver 2011-2012 aux tranchées de la guerre en Ukraine – un raccourci tragique et emblématique de ce qu’auront vécu, en moins d’une décennie, les militants russes de l’opposition anti-Poutine.
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Il a pris la tête de l’Otan mardi 1er octobre : le Néerlandais Mark Rutte est le nouveau visage de l’Alliance atlantique. Celui qui affiche une longue expérience politique a placé son mandat sous le signe du soutien à l’Ukraine, où il s'est rendu pour son premier déplacement.
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En Moldavie, à trois semaines de la présidentielle et du référendum sur l’adhésion à l’Union européenne, les pro-russes se mobilisent. Dimanche dernier, ils ont défilé dans les rues de Chisinau « pour une Moldavie sans l’Union européenne ». Derrières ces rassemblements : un homme, condamné dans son pays à 15 ans de prison, l’oligarque en fuite, Ilan Shor. Réfugié à Moscou, le trentenaire y pilote ouvertement les mouvements anti-européens.
Deux des plus grands noms de la pop russe ont honoré l’événement de leur présence : un « congrès des forces d’opposition de Moldavie » s’est tenu en avril au prestigieux hôtel Carlton de Moscou, à deux pas du Kremlin. Désigné président du nouveau bloc « Victorie » qui regroupe des mouvements eurosceptiques et pro-russes, devant quelque 300 délégués et partisans, Ilan Shor a accusé la présidente moldave Maia Sandu de « couper délibérément le cordon ombilical des liens (de la Moldavie) avec la Russie et l’Union eurasiatique ». Fervent promoteur d’une voie russe pour son pays, l’homme d’affaires et ancien député ne cache pas ses liens avec le pouvoir russe.
En début d’année, c’est aussi à Moscou, lors d’une rencontre avec le vice-président du Conseil de la Fédération de Russie, Konstantin Kossachev qu’il a annoncé la création d’une ONG destinée à œuvrer au rapprochement entre les deux pays. « Ma mission, expliquait-il sur Pervy Canal, la première chaine de télévision russe, est de montrer que la véritable coopération, l'amitié et les relations avec notre ami historique et partenaire, la Fédération de Russie, sont pour la Moldavie le seul moyen de sortir de l'effondrement et de la situation de crise dans laquelle l'actuel régime pro-occidental moldave l’a placée. »
Mais s’il vit en Russie, c’est aussi parce qu’il est recherché par la justice moldave, qui l’a condamné à 15 ans de prison pour fraude et blanchiment. Lui, se dit victime de représailles politiques et a fui, en 2019, en Israël, pays dont il possède la nationalité. Dans son pays, il est accusé d’avoir détourné un milliard de dollars à trois banques moldaves, dans une affaire qualifiée de « vol du siècle ». « Ilan Shor, c’est l’escroc-aventurier typique de l'espace post-soviétique, il a le profil de l'homme d'affaires fraudeur qui a émergé après l'effondrement de l'Union soviétique », note Ryhor Nizhnikau, chercheur à l’institut finlandais des relations internationales. Mais il est aussi, selon lui, « le principal outil russe de déstabilisation de la Moldavie ».
Selon une étude du groupe de réflexion moldave WatchDog, citée par Euractiv, Ilan Shor et un autre oligarque en fuite auraient dépensé plus de 136 000 euros dans le courant de l’été pour diffuser sur les réseaux sociaux des messages de soutien à la Russie. Cela face au processus d’intégration européen de la Moldavie. Selon le quotidien Washington Post, des responsables occidentaux estiment que l’homme d’affaires entretient des liens avec le FSB. Entré en politique en 2015, Ilan Shor a été élu maire d’Orhei, une ville du centre de la Moldavie, qu’il a administrée à coup de subventions. Il y a investi ses deniers pour rénover les routes, installer l’éclairage public ou y créer un parc d’attraction.
Aujourd’hui, réfugié à Moscou, il diffuse par tous les moyens le narratif russe en Moldavie. « Des dizaines de millions d’euros sont dépensés. Pour la Moldavie, ce sont des sommes colossales. L’argent provient de Russie et d’autres sources difficilement identifiables, avance le politologue moldave Alexei Toulboure. Cet argent représente une menace et un danger énorme pour la démocratie et pour l’avenir européen du pays. Ilan Shor et son parti, ce sont des éléments de la guerre hybride menée contre notre État, et cela, bien sûr, constitue une menace pour nous », estime le directeur de l'Institut d'histoire orale de Moldavie.
À la demande du gouvernement moldave, au cours de l'été 2023, la Cour constitutionnelle, a reconnu l'activité de son parti « Shor » comme illégale. Le principal intéressé a lui-même saisi la Cour européenne des droits de l'homme pour contester la légitimité de l'interdiction de son parti.
Marié à une pop-star russe, le trentenaire est né en Israël, ses parents y ayant immigré à la fin des années 1970, avant de retourner en Moldavie à la chute de l’URSS. Son père lui a légué une chaîne de magasins duty-free en Moldavie. Il a aussi été président du conseil d'administration de la Banca de Economii et membre du conseil d'administration de l'aéroport international de Chisinau.
Dans une interview au journaliste russe Alexei Venediktov, ex-rédacteur en chef de la radio Écho de Moscou (fermée en 2022) sur RTVI, l’oligarque de 37 ans a expliqué qu’il visait le poste de Premier ministre. Cela à l’issue des législatives de l’an prochain, où le parti de centre-droit pro-européen PAS au pouvoir, pourrait perdre sa majorité.
Ilan Shor est-il assuré d’un avenir politique sérieux ? Ryhor Nizhnikau en doute, estimant qu’il est à classer plutôt du côté des « hommes politiques à usage unique ». Si jamais les forces pro-russes remportaient les élections législatives, « l’intérêt d’avoir un homme comme Ilan Shor en serait amoindri. Si cela se produisait, les Russes lui diraient qu’ils n’ont plus besoin de ses services », affirme le chercheur.
En attendant, les activités d’Ilan Shor représentent une menace pour la démocratie moldave, selon Alexei Toulboure. Celui-ci rappelle qu’au printemps 2023, à coups de grosses sommes d’argent, l’homme d’affaires a pu imposer sa candidate Evghenia Guțul, une personnalité jusque-là inconnue du public, à la tête de la région autonome de Gagaouzie. Quelques mois plus tard, « les mesures d'urgence prises par le gouvernement ont permis d’éviter que les partis contrôlés par Ilan Shor, ne remportent les élections locales grâce à l'argent et à la corruption », rappelle le politologue. Deux jours avant le scrutin, la Commission pour les situations d’urgence de Moldavie avait interdit aux quelque 600 000 candidats du parti Chance, un clone du parti Shor interdit, de prendre part aux élections. La décision a ensuite été annulée par un tribunal.
Objet de sanctions européennes et américaines, recherché par la justice de son pays, Ilan Shor continue de mener, à distance, une campagne pro-russe et eurosceptique en Moldavie. Il a depuis peu acquis la nationalité russe. Il possède aussi la citoyenneté israélienne.
À l’approche de la présidentielle du 20 octobre et du référendum sur l’adhésion à l’Union européenne, une mission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est rendue en Moldavie. Elle note que « la désinformation, le financement illicite et l'achat de votes soutenus par le Kremlin constituent une menace sérieuse pour la souveraineté, la sécurité et l'intégrité électorale en Moldavie ».
Le dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko a gracié lundi 37 personnes emprisonnées pour « extrémisme », un terme employé pour qualifier les opposants. Mais des centaines d’autres restent derrière les barreaux, certains avec de graves problèmes de santé. C’est le cas de l’une des figures du mouvement de protestation de 2020, Maria Kolesnikova. La co-lauréate du prix Sakharov, a passé quatre ans en prison, dont un an et demi à l'isolement, sans communication avec le monde extérieur.
Aux dires de celles qui sont passées par la prison pour femmes n°4 de Gomel, elle continue à sourire à celles dont elle arrive à croiser le regard. Mais elles sont peu nombreuses. Maria Kolesnikova, condamnée à onze ans de réclusion, est détenue dans un isolement quasi complet, privée de tout contact avec le monde extérieur. Sa famille n’a plus de nouvelles directes depuis un an et demi. Du fait, sans doute de ces conditions de détention éprouvantes, la jeune femme de 42 ans a subi une intervention chirurgicale à l'estomac en 2022, qui lui a fait perdre 15 kg. Aujourd’hui, elle n’en pèserait plus que 45 alors qu’elle mesure 1,75 m, selon les témoignages d’anciennes prisonnières ayant recouvré la liberté, récoltés par sa sœur. « Lorsqu’ils la déplacent, elle est toujours sous la garde de six agents de sécurité. Ils créent une sorte de vide autour d’elle. Et quand ils doivent l’emmener en dehors de la prison, ils instaurent une sorte de loi martiale, avec interdiction pour les prisonnières de regarder par les fenêtres », relate Tatsiana Khomich, jointe par téléphone dans un lieu qu'elle préfère ne pas dévoiler. Selon sa sœur, Maria est détenue dans une cellule disciplinaire d’environ 4m², seule, et souffre de malnutrition. « J’ai très peur, je ne comprends pas pourquoi ils font cela, pourquoi ils exercent une telle pression sur elle et la maintiennent à l’isolement. Pourquoi faire mourir une personne de faim ? », s’inquiète Tatsiana Khomich.
« La décision d'être libre exige de prendre ses responsabilités », avait affirmé l’opposante dans un entretien à la BBC à l’été 2020. Cheveux blonds coupés court, large sourire aux lèvres souvent rehaussées de rouge, Maria Kolesnikova s’était imposée comme l’une des figures du trio féminin emmené par la candidate à la présidentielle d’août 2020, Svetlana Tikhanovskaïa. Si cette dernière avait réussi à quitter le pays sur fond de répressions après les manifestations contre la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko, Maria Kolesnikova avait été arrêtée quelques jours plus tard. Les autorités avaient alors tenté de l'expulser du pays, en l’emmenant de force à la frontière, mais elle avait résisté, déchiré son passeport et refusé de quitter la Biélorussie.
Avant de revenir en Biélorussie où elle a pris part au mouvement démocratique en 2020, Maria Kolesnikova, qui menait une carrière de flûtiste, a vécu en Allemagne. En 2016, elle y a intégré le trio de musique contemporaine Vis-à-vis à Stuttgart. « Elle me disait toujours, tu sais, dans mon pays si tu fais quelque chose de travers ou si tu dis quelque chose qui heurte le pouvoir, tu vas en prison. Elle avait conscience des conséquences de ses actes », se souvient la chanteuse de l’ensemble, Natalia Lopez, qui organise régulièrement des concerts en hommage à son amie emprisonnée. « Aujourd’hui, je n’ose imaginer ce qu’elle traverse. Je sais que Loukachenko libère des gens, mais je pense que Maria n’en fait pas partie ».
Ces deux derniers mois, le régime biélorusse a gracié plus de cent prisonniers politiques, dont certains avec des problèmes de santé. Mais les figures de l’opposition telles que Maria Kolesnikova, Viktor Babariko, le candidat arrêté avant la présidentielle, dont elle avait dirigé la campagne ou Serguei Tikhanovsky, continuent de purger leurs peines dans des conditions difficiles.
« Alexandre Loukachenko comprend qu’ils constituent une menace pour lui et en tout cas, il fixerait un prix à payer pour leur libération que les pays occidentaux jugeraient probablement trop élevé », estime Pavel Slunkin, ancien diplomate biélorusse qui vit en exil. « Maria possède un grand capital social, c'est une politicienne aimée et admirée. À l’inverse, Alexandre Loukachenko ne peut se vanter d’aucun coup d’éclat, il n’a pas déchiré son passeport. C’est quelqu’un qui vit protégé derrière de hauts murs, il n’a pas l’image d’un héros. Et je pense qu’il ressent de la jalousie envers ces personnalités et qu’il a un besoin de se venger », avance l’ancien haut fonctionnaire biélorusse. Selon les estimations des ONG, plus de 1 400 personnes sont détenues en Bélorussie pour des motifs politiques. Tatsiana Khomich, garde l’espoir d’une grâce présidentielle pour tous les prisonniers politiques, mais dans l’immédiat, elle espère surtout qu’il reste encore un peu d’humanité chez les gardiens de prison, où la santé de sa sœur se dégrade de jour en jour.
Il est pressenti pour devenir le prochain chef du gouvernement en Belgique : Bart de Wever est notre Européen de la semaine. Plus de trois mois après les élections législatives, le président de la N-VA, les conservateurs flamands, est devenu un personnage central dans la vie politique belge.
Le roi l’a nommé « formateur » du futur gouvernement. Une équipe qui tarde à venir, mais les Belges ont l’habitude. Bart de Wever et son parti ont remporté les élections de juin, il prétend donc au poste de Premier ministre. « Avant les élections, j’ai clairement dit que j’étais candidat pour le siège », déclarait-il l'été dernier. « Je l’ai dit pendant la campagne électorale. Et maintenant, j’essaie de réaliser cette ambition ». Il a déjà essayé une première fois de trouver un accord avec 4 autres partis avant de jeter l’éponge. Le voilà reparti pour un tour. Pourquoi ce blocage ? « La situation est bien sûr très difficile. Il y a un grand trou budgétaire en Belgique, il faut trouver près de 30 milliards sur les prochaines années », explique Dave Sinardet, il est professeur de sciences politiques à l’université Saint-Bruxelles. « Et il y a quand même 5 partis autour de la table allant d'un parti social-démocrate flamand à un parti de droite libérale francophone. Donc pas vraiment évident de réconcilier les différents points de vue ». Et le blocage pourrait encore durer : des élections communales sont prévues en octobre… Plusieurs chefs de parti sont déjà en campagne, dont Bart de Wever à Anvers. Personne ne veut lâcher du lest d’ici là.
Bart de Wever est tombé dans le bain politique très tôt. Son grand-père avait été secrétaire de la Ligue nationale flamande, un parti flamand d'extrême droite de l'entre-deux-guerres. Son père militait pour l’autonomie de la région flamande. En 2010, il prend la tête du N-VA et remporte toutes les élections. Il est maire d'Anvers. Aujourd’hui, c’est un personnage incontournable de la vie politique belge. « C'est la personnalité numéro un depuis les années 2010 », raconte Alexandre Noppe, journaliste politique au journal belge Le Soir. « Il est au centre des négociations depuis longtemps, tout le monde le connaît, donc il est prêt à devenir le Premier ministre de la Belgique. C’était quelque chose de complètement inenvisageable il y a plusieurs années. Bart de Wever a évolué vers un profil de politicien plus à droite, certes, mais aussi plus ouvert à travailler en collaboration avec les francophones ».
Le parcours politique de Bart de Wever est marqué par sa proximité avec les mouvements d’extrême-droite et par son discours indépendantiste. Mais il a adouci son programme souligne le politologue flamand Dave Sinardet : « Au début, c'était vraiment un parti nationaliste flamand assez radical et ils sont graduellement évolués vers un parti de droite libéral conservateur qui est aussi ouvert finalement à gouverner la Belgique et qui n'est plus seulement focalisé sur l'autonomie flamande ».
À 53 ans, il est père de 4 enfants, sa femme est enseignante. On lui connaît une grande passion : l’empire romain, il ne manque jamais une occasion de citer Cicéron ou Jules César. Et il adore aussi se déguiser. On l’a vu en costume de panda, de lion, en St-Nicolas ou encore en empereur romain.
Pour savoir à quoi ressemblera sa gouvernance s'il devient chef de gouvernement dans quelques mois, il faut regarder ce qu’il a fait dans sa ville d’Anvers qu’il dirige depuis bientôt 12 ans. Le journaliste Alexandre Noppe a enquêté sur ses réseaux et sa méthode pour Le Soir. II décrit un homme pragmatique et très clanique : « Il fonctionne avec un cercle très restreint au niveau du parti, donc au niveau national ou au niveau de la ville d'Anvers. Il a un cercle proche, très politique, principalement masculin, principalement de sa génération, donc entre 45 et 60 ans. Dans sa méthode de travail, il va fonctionner de manière académique : thèse, antithèse, synthèse. Et quand une synthèse est faite sur un thème d'actualité politique, la NVA ne parle plus que d'une seule voix et ça c'est ce qui en fait une de ses forces. C'est que les tensions internes n'apparaissent pas dans le discours externe vers les médias, vers le citoyen ».
Et les Belges dans tout ça ? Comment ils vivent cette attente ? Ils ont l’habitude, pas comme en France. Pour mes interlocuteurs, il est « encore un peu tôt pour s’alarmer ! ». Passer Noël, là ça deviendrait inquiétant... Rappelons que la Belgique tient un record avec 540 jours sans gouvernement, c’était en 2010.
La presse allemande a qualifié de « coup de tonnerre » le score très élevé obtenus par le parti d’extrême droite AfD lors des élections régionales qui se sont tenues le 1er septembre en Saxe et en Thuringe. Mais c’est bien le BSW qui va se trouver au centre du jeu politique dans ces deux régions. Ce parti qualifié par les observateurs « d’ovni politique » a été fondé il y a un moins d’un an par Sahra Wagenknecht, une personnalité issue de la gauche radicale très populaire en Allemagne de l’Est.
Sahra Wagenknecht ne cachait pas sa jubilation après le scrutin du 1ᵉʳ septembre : avec 11 % des voix en Saxe et plus de 15 % en Thuringe, l’ancienne économiste peut se targuer d’avoir largement rempli son pari. En moins d’un an, son parti BSW (qui signifie Alliance Sahra Wagenknecht) a obtenu 6 % aux élections européennes avant d’arriver en troisième position, derrière l’AFD et la CDU, lors de ce scrutin régional très observé.
Derrière ce succès fulgurant, il y a d’abord et avant tout une personnalité détonante : née en Allemagne de l’Est en 1969, Sahra Wagenknecht s’est fait un nom et une réputation au sein de la gauche radicale, mais aussi sur les plateaux de télévision où elle s’est très vite distinguée. « Elle a un charisme indéniable et en même temps une force de conviction assez forte, pointe Eric-André Martin, spécialiste de l’Allemagne. C'est quelqu'un qui a une légitimité pour faire de la politique dans les nouveaux Länder, dans la mesure où elle a été formée à l'école communiste. »
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En 1989, elle prend sa carte du SED, le parti communiste encore au pouvoir… juste avant la fin du régime est-allemand. Puis, elle poursuit sa carrière au sein du PDS, au sein duquel se retrouvent les communistes de l’ex-RDA. Dans les années 2000, elle accompagne son futur mari, Oskar Lafontaine, dans la création de Die Linke, qu’elle quitte avec fracas à la fin 2023. À ses yeux, le parti de gauche radicale s’est par trop éloigné de la classe ouvrière - alors qu’elle-même a adopté des convictions plus que conservatrices sur certaines thématiques, et notamment sur l’immigration.
« Elle est restée fidèle à ses idéaux marxistes sur le plan économique, mais elle a un discours ultraconservateur, très décomplexé sur les migrants, décrypte Elisa Goudin-Steinmann, professeure en études germaniques à la Sorbonne. Elle fustige les gens qui roulent à vélo et qui "boivent du lait d'avoine" comme elle l’a dit dans un récent discours, bref cette gauche des grandes villes qui défend les minorités et les LGBT, mais qui auraient renoncé aux fondamentaux de la gauche : la défense du peuple, des travailleurs, etc. Elle est restée fidèle à une partie du programme communiste, et a effectué un virage à droite sur d’autres questions. Cela en fait une sorte d’ovni politique assez étonnant. »
Un cocktail politique un peu particulier, mais qui fonctionne très bien dans les régions de l’ex-RDA, où se trouve le vivier électoral de la nouvelle formation. Cet électorat est sensible à ses déclarations sur la lutte contre l’immigration, mais aussi sur la guerre en Ukraine. Accusée par ses détracteurs de faire en Allemagne le jeu du Kremlin, Sahra Wagenknecht veut réduire, en effet, le soutien apporté à Kiev depuis février 2022.
« C'est aussi dans la continuité de ses origines et de son militantisme est-allemand, souligne Eric-André Martin. Dès le départ, c'est-à-dire dès 2022, elle a considéré que cette guerre en Ukraine méritait une approche beaucoup plus nuancée de la part des Occidentaux. Et elle s'est opposée à la politique de soutien à travers des fournitures importantes d'armes et l'absence de perspectives diplomatiques. » Sahra Wagenknecht n’a pas hésité, durant la campagne électorale pour ces élections régionales, à en faire une condition pour une éventuelle alliance au sein des Länder. « Elle a clairement dit que si on voulait faire coalition avec elle, elle ne le ferait qu'avec un parti qui milite pour une solution diplomatique en Ukraine et qui s'oppose au déploiement d'armes américaines sur le territoire allemand. »
Cette condition pourrait fortement compliquer les tractations qui vont s’ouvrir entre le BSW et la CDU – le Parti conservateur étant au niveau national un fervent partisan du soutien à l’Ukraine. Mais la CDU n’a pas d’autre choix que de négocier avec l’ancienne communiste. Arrivée en première position en Saxe et en deuxième position en Thuringe, le parti chrétien-démocrate aura besoin d’elle pour faire barrage à l’AFD. « Elle a une position qui est très importante parce qu'elle va être une "faiseuse de rois", relève Elisa Goudin-Steinmann. Au sein de la CDU, plusieurs personnalités ont déjà annoncé déjà qu'elles accepteraient de travailler avec elle, mais il faudra voir comment ils réussiront à trouver des compromis. Une alliance entre chrétiens-démocrates et une ancienne communiste, ce serait tout de même un attelage un peu bizarre. »
Un premier test à l’échelon régional qui se prolongera le 22 septembre prochain avec les élections au gouvernement régional du Brandebourg (région de Berlin). Au-delà de ces élections régionales, Sahra Wagenknecht espère s’implanter au niveau national – et ambitionne de continuer à marquer des points lors des législatives qui auront lieu, au niveau fédéral, à l’automne 2025. Des sondages effectués avant les scrutins régionaux du 1er septembre lui accordaient de 8 % à 9 % des intentions de vote, devant Die Linke et le FDP, et seulement à quelques points derrière les Verts.
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