Invité Afrique

Du lundi au vendredi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'Etat ou rebelle, footballeur ou avocate... L'invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois. Diffusion : 05h52  Retrouvez les sujets traités par cette émission sur RFI SAVOIRS = http://savoirs.rfi.fr/

  • 4 minutes 32 seconds
    Philippe Lacôte: «Le cinéma du monde n’est pas un genre. II faut essayer d'être plus authentique»

    Le grand invité Afrique de ce matin est le réalisateur ivoirien Philippe Lacôte, parrain de la Fabrique du cinéma 2024 à Cannes, une initiative qui vise à aider la production des pays émergents, et ce depuis seize ans maintenant. Dix projets diversifiés de films ont été sélectionnés pour bénéficier de l'aide à la production. C'est l'occasion d'échanger avec le parrain de la Fabrique sur son parcours cinématographique, son pays et les jeunes créateurs qu'il va accompagner.
     

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    18 May 2024, 9:42 am
  • 4 minutes 30 seconds
    Femua: «En dehors de la musique, on peut être un pion essentiel pour le développement de son pays»

    Salif Traoré, dit A'Salfo, leader du groupe Magic Systèm, est délégué général du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua), dont on fête la seizième édition. Un événement devenu une référence sur le continent africain par la qualité de sa programmation : Gims, Yémi Aladé, Sona Jobarteh, Tamsir partagent notamment la grande scène... mais il est surtout réputé pour son engagement permanent dans le développement social, économique et diplomatique, avec cette année, le thème de la santé mentale chez les jeunes. Entretien.

    RFI : Musique, social… Pourquoi le Femua doit être intégré à la société ?

    Salif Traoré : Quand on est artiste, on vit constamment engagé, parce qu’on a envie de dire des choses, on a la chance de faire l’un des plus beaux métiers du monde, qui est un canal pour promouvoir des valeurs… On a envie d’apporter notre contribution, on a envie d’apporter notre grain de sel. C’est ce qui nous amène à créer des activités qui peuvent être transversales entre la musique et tout ce qui peut contribuer au bien-être des populations.

    À quel moment avez-vous compris que la musique, c’est de la politique ?

    On l’a compris un peu trop tôt parce qu’il fallait sortir de ce canal. Le musicien, ce n’est pas seulement celui qui vient sur scène pour faire danser. Le musicien a un métier qui lui permet de s’adresser à tout le monde sans barrière linguistique, sans appartenance politique ni obédience religieuse. Il parle à tout le monde sans distinction. Il a une force et cette force, il peut l’utiliser à bon escient : contribuer à l’éducation, à promouvoir la paix, à promouvoir la cohésion sociale. En dehors de la musique, on peut être vraiment un pion essentiel pour le développement de son pays, quand on le veut. La classe politique écoute aussi quand nous avons des projets. Si on dit à la classe politique « on va chanter, on va danser », alors elle nous regardera chanter et danser.

    Justement, cette année, un thème fondamental : la santé mentale chez les jeunes. Comment vous est venue cette idée ?

    C’était important. Lors d’une visite à l’hôpital psychiatrique de Bingerville, j’ai vu ce qu’il se passait autour et j’ai parlé avec certaines personnes qui disaient que les gens les traitaient de « fous » alors que, généralement, ce ne sont pas des gens qui sont nécessairement dans la folie. Souvent, ce manque d’attention, ça les amène à se renfermer sur eux. Et puis, beaucoup de jeunes, aujourd’hui, sont confrontés à des difficultés qui les amènent souvent à emprunter des chemins qui ne sont pas forcément les meilleurs… La drogue, l’alcool, peuvent être des facteurs qui les amènent à développer cette pathologie. Souvent, ils ont besoin d’être écoutés, entendus. Si on dit que la richesse de l’Afrique, c’est sa démographie qui est à 70 % composée de jeunes, il faudrait aussi que l’on s’intéresse aussi aux problèmes de ces jeunes. Sinon, l’avantage de l’Afrique risque de devenir un inconvénient pour ce continent.

    Est-ce qu’aujourd’hui, vous arrivez à chiffrer l’impact économique du festival, chaque année ?

    Les données sont là, au bout de quinze années. Le groupe Magic System a pu offrir, avec le Femua, entre 12 000 et 15 000 emplois directs et indirects à travers le Femua. Il y a dix écoles qui ont été construites et deux en construction. Pendant le Femua, le taux de remplissage des hôtels augmente, les taxis roulent toute la nuit, les petits commerçants qui sont aux bords des routes vendent toute la nuit. Donc, il y a un fort impact économique. Et puis, cerise sur le gâteau, cela crée de la cohésion sociale. Aujourd’hui, le Femua est devenu comme une Coupe d’Afrique de la culture, cela crée de l’intégration aussi entre les pays africains. La preuve en est, la Guinée-Bissau cette année. Il y a des retombées qui sont incalculables.

    Vous citez la Guinée-Bissau, qui est le pays invité. Là encore, ce festival, c'est de la diplomatie pure.

    C’est de la diplomatie culturelle. Parce que la culture n’a pas de langue, comme on dit. C’est pourquoi la Guinée-Bissau, qui est un pays lusophone, se trouve aujourd’hui dans l’un des plus grands festivals francophones. Je crois que le Femua joue aussi son rôle, la musique joue son rôle, mais avec subtilité.

    Pour terminer cet entretien, Salif Traoré, la question la plus difficile : quel est votre coup de cœur pour cette 16e édition du Femua ?

    Pour le coup de cœur, je suis partagé entre Sona Jobarteh, qui est l’une des meilleures koralistes du monde… Elle tourne partout. J’ai trouvé qu’elle était plus à l’extérieur qu’en Afrique et qu’il fallait avoir Sona Jobarteh. Et il y a aussi Tamsir, qui est une étoile montante et qui fait là une de ses premières grandes scènes. Ce sont mes deux coups de cœur. Ce sont ceux-là que j’attends de voir.

     

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    17 May 2024, 5:01 am
  • 4 minutes 20 seconds
    Cinéma en Afrique: «Les femmes participent à l'essor de l'industrie», dit Emma Sangaré

    Le Festival de Cannes donne lieu à des projections cinématographiques, mais aussi à des rencontres et des forums sur le Septième art. Ce jeudi se tient un débat sur la place des femmes dans les secteurs du cinéma et de l’audiovisuel au « Pavillon Afriques ». Débat auquel participeront des réalisatrices, des productrices, des actrices, ainsi qu’Emma Sangaré, co-directrice de l’école de cinéma Kourtrajmé à Dakar, au Sénégal. Entretien.

    RFI : On assiste, en ce moment, à un essor du cinéma africain, et notamment des productions télévisuelles. Est-ce que les femmes participent à ce mouvement ?

    Emma Sangaré : Bien sûr que les femmes participent à l’essor de la production, de tout le développement et de la structuration de l’industrie du cinéma en Afrique. Premièrement, en étant représentées à tous les postes, elles prennent de plus en plus en place. Je pense à Kalista, Angèle, Chloé, productrices, à des réalisatrices comme Amina, Mariam, à des scriptes, à des techniciennes, des scénaristes, des formatrices, des actrices… Elles sont là, à tous les postes et de plus en plus présentes. On voit une vraie différence depuis quelques années.

    Cet essor des femmes africaines dans le cinéma, il est dû à quoi ? Plus de centres de formation, plus de motivation ?

    Il y a toujours eu des formations, que ce soit des ateliers, des masterclass, des écoles… Je pense que c’est surtout que la parole commence à se libérer, qu’on commence à les écouter, à leur laisser prendre le plus de place. Il n’empêche que, face aux opportunités, il y a encore des inégalités. Tout cela, c’est un problème systémique, à plusieurs facettes. La réponse est plurielle, mais je pense que, dans les centres de formation, on respecte aussi de plus en plus la parité, que ce soit pour les élèves ou pour les formateurs. Forcément, cela a un impact. Aussi, les jeunes femmes ont de plus en plus de modèles, elles s’identifient, elles se disent : « Pour moi aussi, c’est possible ». Elles osent plus facilement passer le cap en se disant : « Ce sont des voies, ce sont des filières possibles pour moi ». Surtout, les femmes savent qu’elles vont, de toute façon, devoir mettre beaucoup plus d’énergie, c’est encore la réalité, pour arriver au même poste. Elles sont juste encore plus battantes, encore plus motivées. Elles sont conscientes d’une chance et d’une opportunité qu’elles ne veulent pas laisser passer.

    Vous parliez d’inégalités. À quelles inégalités font face les femmes du 7e art africain ?

    Les difficultés auxquelles elles font face sont générales dans tout le métier et dans toute l’industrie. Elles touchent tous les corps de métier, elles touchent tous les salaires, la reconnaissance des statuts, un manque de soutien social, les préjugés de ces filières métiers vis-à-vis des familles. Elles sont vraiment à tous les niveaux. Ce sont des difficultés qui touchent autant les femmes que les hommes.

    Emma Sangaré, vous êtes codirectrice de l’école Kourtrajmé à Dakar, école de cinéma. Est-ce que, depuis quelques années, vous avez constaté cette tendance des femmes à se diriger vers le cinéma ?

    Dans les appels à candidature, on voit évidemment une différence. On reçoit plus de candidatures d’hommes, mais, en même temps, ce qui est positif, c’est que, en trois ans, on voit une évolution et surtout de plus en plus de femmes qui postulent, qui postulent au-delà du Sénégal. On a des élèves, des jeunes femmes, qui viennent de plusieurs pays de la sous-région. On voit vraiment cette évolution. Nous, dans nos sélections, on respecte et on fait très attention à la parité. Même parmi nos enseignants et nos formateurs, c’est important pour nous qu’il y ait des femmes enseignantes, parce qu’on transmet les choses différemment. Ce sont des métiers créatifs, il faut avoir différents points de vue, celui des femmes est tout aussi important.

    Et justement, ce point de vue, quand on connait les différentes séries, c’est important d’avoir des femmes qui jouent, qui réalisent, qui écrivent pour d’autres femmes spectatrices ?

    Bien sûr ! Je pense que, quand il s’agit de raconter des histoires féminines, pour toucher des spectatrices féminines, les femmes sont les mieux placées pour raconter ces histoires d’un point de vue de l’intime et de caractériser des personnages dans lesquelles les spectatrices vont s’identifier. C’est évident. Je pense, entre autres, à tout le travail que fait Kalista Sy. C’est une femme productrice, elle travaille sur des histoires de femmes, elle met en avant tous les postes de femmes. C’est un vrai exemple pour les jeunes femmes, c’est un vrai mentor.

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    16 May 2024, 5:17 am
  • 6 minutes 5 seconds
    Togo: «Le changement de régime vise à prolonger le mandat de Faure Gnassingbé indéfiniment»

    Au Togo, le président Faure Gnassingbé est assuré de rester au pouvoir après la victoire de son parti aux législatives du 29 avril, mais à condition de changer de fauteuil. Suite au changement de Constitution, c'est le président du Conseil des ministres qui concentre désormais tous les pouvoirs. Pourquoi Faure Gnassingbé a-t-il fait adopter cette réforme ? Et pourquoi l'opposition n'a-t-elle pas réussi à l'en empêcher ? Entretien avec Bergès Mietté, chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le monde, à Sciences Po Bordeaux, dans le sud-ouest de la France.

    RFI : Pourquoi Faure Gnassingbé est-il passé à un régime parlementaire, 19 ans après son arrivée au pouvoir ?

    Bergès Mietté : Je pense que, sur cette question, il y a plusieurs raisons qui ont présidé au changement de régime au Togo. Selon le président, ce système, ce régime permet plus de représentativité des différentes sensibilités politiques du pays. Il permet aussi de consolider les acquis démocratiques. Et je pense qu’il y a une autre raison à cela, une raison principale. C’est que Faure Gnassingbé voulait se porter candidat à l’élection présidentielle en 2025, sauf qu’à l’issue de ce quinquennat, il ne pouvait plus prétendre à la magistrature suprême. Ce changement de régime visait, en réalité, à prolonger le mandat du président en exercice indéfiniment. Je pense que c’est l’une des principales raisons de ce changement de régime.

    Parce que Faure Gnassingbé ne sera plus président de la République, mais président du Conseil des ministres, c’est cela ?

    Oui, je pense que ce poste de président du Conseil des ministres a été taillé pour le président en exercice.

    Et pour un mandat de six ans qui sera renouvelable autant de fois que son parti gagnera les législatives ?

    Oui, tout à fait.

    Alors, désormais, il va donc y avoir un président de la République et un président du Conseil des ministres. Mais est-ce que cela ne va pas instaurer une dualité, voire une rivalité, au sommet de l’État ?

    Je ne pense pas qu’il y aura une réelle dualité au sommet de l’État puisque, selon la Constitution qui a été promulguée récemment, le chef de l’État, élu par les députés pour un mandat de quatre ans, ne dispose, pour ainsi dire, d’aucun pouvoir. La réalité du pouvoir est entre les mains du président du Conseil des ministres. Donc, pas vraiment de dualité du pouvoir au sommet de l’État.

    Selon la Cour constitutionnelle, le parti au pouvoir Unir a remporté les élections législatives avec plus de 95 % des voix. Que vous inspirent ces résultats ?

    Je pense que cette victoire écrasante est, pour ma part, sans surprise. Elle était requise pour pouvoir entériner le projet de changement de régime visant à assurer et garantir l’inamovibilité du président Faure Gnassingbé à travers le poste de président du Conseil des ministres. À bien des égards, cette victoire consacre, plus que jamais, l’emprise du président et de son parti sur le pays.

    Alors, le parti au pouvoir Unir affirme que ces résultats sont le fruit d’un travail de terrain, y compris dans le sud, à Lomé, le fief habituel de l’opposition. Mais celle-ci réplique que ces résultats sont le fruit de bourrages d’urnes et de votes massifs par procuration.

    L’opposition a voulu faire des législatives du 29 avril un référendum contre le projet du changement de régime porté par le parti présidentiel, mais n’y est pas parvenue. Et à cela, plusieurs raisons : tout d’abord, dans les bastions traditionnels de l’opposition, certains citoyens n’avaient pas pu s’enrôler durant la phase d’inscription sur les listes électorales. Une pratique que les partis d’opposition avaient d’ailleurs dénoncée. Ensuite, l’opposition n’est pas parvenue à rassembler ces partisans, sans doute faute de moyen, à la différence du parti présidentiel. Ou alors, son programme n’a pas séduit suffisamment d’électeurs. Enfin, l’adoption de la nouvelle Constitution à la veille du scrutin a eu un réel impact, aussi bien sur l’opposition que sur les citoyens, désormais résignés. Ce qui explique, entre autres, la faible participation des citoyens à ce scrutin. Ce qui a laissé champs-libre au parti présidentiel.

    Il y a cette phrase de l’un des leaders de l’opposition, Dodji Apevon, des Forces démocratiques pour la République : « À cause de nos difficultés et de nos querelles, le parti au pouvoir en profite toujours pour truquer et pour voler. »

    Je pense que les propos de M. Apevon sont très pertinents puisque les clivages au sein de l’opposition sont une réalité, une réalité très criarde et que, ces clivages n’ont pas permis à l’opposition de pouvoir s’organiser, de constituer des coalitions pour mener à bien cette campagne électorale. Les clivages ont joué dans le triomphe du parti au pouvoir. Il y a aussi la question des moyens, qui ne permet pas à l’opposition de pouvoir se mobiliser durant le processus électoral, à la différence du parti au pouvoir qui dispose de ressources beaucoup plus importantes.

    À l’issue du scrutin, la Cédéao, l’Union africaine et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont exprimé leur satisfaction sur – je cite – le bon déroulement de la campagne et la tenue des élections dans le calme. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

    Je pense que les propos de ces organisations internationales ne sont pas surprenants, puisque, alors même que l’opposition dénonçait des irrégularités durant le processus d’enrôlement sur les listes électorales, on a bien vu l’OIF qui a confirmé la fiabilité du fichier électoral, ce que dénonçait l’opposition à l’époque. Dans un contexte où l’on sait que les élections ont eu lieu quasiment à huit-clos, puisque les observateurs internationaux n’ont pas pu obtenir à temps, pour la plupart, les accréditations pour pouvoir observer de bout en bout ce processus électoral, c’est quand même assez curieux que ces organisations internationales se félicitent du bon déroulement de ces élections.

    Est-ce à dire que l’opposition togolaise est isolée sur la scène internationale ?

    Tout à fait. Je pense que l’opposition togolaise est à la croisée des chemins et qu’aujourd’hui elle n’a aucune alternative.

    À la différence de Faure Gnassingbé, le président togolais, qui multiplie les médiations sur la scène sous-régionale ?

    Oui, tout à fait. Je pense que le président Faure Gnassingbé a mis en place une politique assez intéressante sur la scène internationale puisque, à la différence de ses homologues ouest-africains, il arrive à faire l’entre-deux, à communiquer avec les pays faisant partie de l’Alliance des États du Sahel (AES) qui sont en rupture avec d’autres pays de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Je pense que le régime togolais arrive à concilier le discours avec l’action gouvernementale puisque le discours de paix prôné par le régime togolais trouve son écho à travers la politique sous-régionale du président, à travers les rencontres et le dialogue qu’il initie notamment avec les régimes putschistes d’Afrique de l’Ouest.

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    15 May 2024, 4:54 am
  • 7 minutes 1 second
    «Il y a une sorte de continuité dans l'action de la diplomatie sénégalaise»

    Le Sénégal est sur tous les fronts. D'un côté, le président Diomaye Faye est allé la semaine dernière en Côte d'Ivoire. De l'autre, le Premier ministre Ousmane Sonko espère se rendre bientôt dans les trois pays de l'Alliance des États du Sahel. Est-ce à dire que les nouveaux dirigeants sénégalais vont tenter une médiation entre la Cédéao et les trois États sahéliens qui ont quitté l'organisation ouest-africaine ? Entretien avec le chercheur sénégalais Pape Ibrahima Kane, spécialiste des questions régionales en Afrique.

    RFI : La visite du président Bassirou Diomaye Faye à Abidjan, est-ce le signe que le nouveau régime sénégalais va poursuivre la politique de Macky Sall à l’égard de ses voisins d’Afrique de l’Ouest ?

    Pape Ibrahima Kane : Tout à fait. Je pense que, pour ce qui concerne la diplomatie sénégalaise, on est dans une sorte de continuité, plutôt que dans une sorte de transformation systémique. Ce que Diomaye est en train de faire, c’est ce que Senghor a fait, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade et Macky Sall ont fait. On est vraiment dans une sorte de continuité et on est en train de montrer que l’un des atouts majeurs du Sénégal, c’est sa diplomatie, c’est le rôle qu’il peut jouer dans les relations aussi bien inter-africaines que dans les relations internationales.

    Oui, mais jusqu’à présent, les présidents Alassane Ouattara et Bassirou Diomaye Faye n’étaient pas de grands amis politiques. En juillet dernier, quand Macky Sall avait renoncé à un troisième mandat, Alassane Ouattara lui avait exprimé son désaccord et cela, bien entendu, Bassirou Diomaye Faye le sait. Comment expliquez-vous que la Côte d’Ivoire soit l’une des premières destinations du nouveau président sénégalais ?

    D’abord, parce que la Côte d’Ivoire, au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), c’est la première puissance économique. Parce qu’également, au niveau de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao), la Côte d’Ivoire est la deuxième puissance après le Nigeria. Et ensuite, il y a une forte communauté sénégalaise qui est établie depuis très longtemps en Côte d’Ivoire. Tout cela fait que le Sénégal est obligé d’entendre la voix de la Côte d’Ivoire, surtout quand ces autorités sénégalaises veulent jouer un rôle important dans le retour des trois pays du Sahel central qui avaient décidé de quitter la Cédéao. Je pense qu’il est nécessaire de savoir ce qui est en jeu pour vraiment pouvoir discuter sérieusement avec les dirigeants du Mali et pouvoir les convaincre de retourner dans la maison du père.

    Justement, deux jours avant la visite du président Diomaye Faye à Abidjan, le Premier ministre Ousmane Sonko a annoncé qu’il se rendrait bientôt en Guinée, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, les quatre pays sous régime putschiste. Est-ce qu’on peut parler, de la part du Sénégal, d’un double-jeu diplomatique ?

    Non, pas du tout. D’abord, la diplomatie, c’est le domaine réservé du président de la République. Même si c’est Sonko qui va devoir se déplacer dans ces quatre pays, il le fait au nom du président de la République et il sera accompagné de la ministre des Affaires étrangères. Je pense que ce que le président Diomaye est en train de faire, parce que Sonko a une certaine proximité avec certains leaders de ces pays, c’est de l’envoyer en éclaireur, avoir un aperçu de ce que ces États reprochent à la Cédéao, aux dirigeants de la sous-région, pour pouvoir jouer le rôle qu’il lui revient, c’est-à-dire jouer les intermédiaires, faire en sorte qu’il y ait des discussions sérieuses sur des points qui sont soulignés par ces pays et les régler dans la meilleure des façons pour que la Cédéao continue d’être la région de référence au niveau de l’Afrique. Je pense que c’est plus une démarche cohérente… L’envoi de M. Sonko me paraît très utile parce qu’à ce moment-là, quand Diomaye pourra entrer dans le jeu, il pourra jouer un rôle. Parce que, s’il y va et qu’il échoue, cela veut dire qu’il n’y a plus de possibilité pour le Sénégal de jouer un rôle. Je pense que c’est quand même intelligent. Cela n’a rien à voir avec les relations avec les putschistes. Parce que, dans la tête des dirigeants sénégalais, le putsch… et ils l’ont dit quand Macky Sall avait agité l’idée que l’armée pouvait jouer un rôle, ils ne veulent en aucun cas que les militaires dirigent les États africains.

    À Abidjan, le président Diomaye Faye a donc dit tout le bien qu’il pensait de la Cédéao, « un outil formidable d’intégration » a-t-il dit, que « nous gagnerons à préserver », a-t-il même ajouté. Alors, avec quels arguments Diomaye Faye et Ousmane Sonko vont-ils pouvoir convaincre le Mali, le Burkina Faso, le Niger de ne pas quitter l’organisation ouest-africaine ?

    Ce que la Cédéao a réussi, c’est que c’est la première et la plus importante communauté économique régionale africaine, qui a réussi la libre circulation des personnes et des biens. Certes, la Cédéao a beaucoup de problèmes institutionnels. Par exemple, la question des sanctions est une question fondamentale dans la recherche de solutions à ces problèmes. Le régime de sanctions que la Cédéao a n’est pas un régime de sanction que l’on peut appliquer comme cela, à la va-vite, à la tête du client. Il faut que l’on révise le système dans le sens que les sanctions puissent servir à quelque chose de tangible, mais pas pour sanctionner des individus et autres. Tout cela me fait penser qu’aujourd’hui, il y a d’énormes possibilités de faire en sorte que ces dirigeants reviennent à la maison du père. D’autant que, personnellement, je pense qu’ils ont pris cette décision simplement pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas des béni-oui-oui et qu’ils sont dans une posture de « bargaining », comme le disent les anglophones, pour pouvoir revenir, mais dans d’autres conditions, pour pouvoir continuer à travailler pour l’intégration régionale africaine.

    Il y a un chef d’État putschiste avec lequel Ousmane Sonko a une relation complexe, c’est le capitaine burkinabè Ibrahim Traoré. Après le putsch de septembre 2022 à Ouagadougou, les deux hommes étaient proches. Mais après l’arrestation de l’avocat burkinabé Guy-Hervé Kam et la lettre ouverte d’Ousmane Sonko en faveur de sa libération, les relations Sonko-Traoré se sont dégradées. Est-ce que vous pensez que le Premier ministre sénégalais va vraiment être invité à Ouagadougou ?

    Vous savez, jusqu’à présent, le Burkina Faso et le Sénégal ont eu d’excellentes relations. Je pense que Sonko et le président Traoré ne peuvent agir que dans la continuité de ces relations. Même s’ils ont eu, par le passé, des difficultés entre eux, maintenant, il s’agit de relations d’État à État, et non d’individu à parti politique. Donc, cela change la dynamique. Je pense que le passé est le passé. Ici, maintenant, on est dans le dur… On est dans le sauvetage de la Cédéao et cela est plus important que les relations personnelles que les uns et les autres ont eues par le passé.

    On connaît les projets du Pastef pour en finir avec le franc CFA. Et pourtant, lors de leur conférence de presse à Abidjan, Alassane Ouattara et Bassirou Diomaye Faye n’ont pas prononcé une seule fois les mots « franc CFA ». Pourquoi ?

    Je pense qu’ils n’ont pas pu ne pas avoir discuté de cette question… Mais peut-être qu’ils se sont entendus pour qu’on ne puisse pas, dans le communiqué final, en parler. Parce que, même du point de vue du Pastef, actuellement, il y a peut-être une certaine évolution… Vous savez, quand on est dans l’opposition et qu’on est à la quête du pouvoir, on peut avoir des postures sur telle ou telle question. Mais à partir du moment où on a les clés de l’État entre les mains, où on est obligé de décider sur telle ou telle question, les positions sont obligées de changer. Je pense que Diomaye l’a lui-même dit, une fois, lors de l’un de ces discours, qu’il va progressivement travailler pour qu’on retrouve notre souveraineté monétaire.

    Le mot important étant « progressivement » ?

    Tout à fait.

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    14 May 2024, 5:26 am
  • 5 minutes 17 seconds
    Suliman Baldo, chercheur soudanais: «Beaucoup de civils seront pris dans des feux croisés à el-Fasher»

    Au Soudan, la ville d’el-Fasher, la plus grande du Darfour, est le théâtre depuis le 10 mai 2024 de violents affrontements à l’arme lourde. OCHA, le Bureau des affaires humanitaires de l’ONU, décompte au moins 27 personnes tuées. El-Fasher est la seule ville du Darfour qui n’est pas encore tombée aux mains des Forces de soutien rapide du général Hemedti. Faut-il craindre que ces forces commettent un massacre à caractère ethnique, comme il y a un an à el-Geneina, une autre grande ville du Darfour ? Et pour stopper le général Hemedti, faut-il le menacer de poursuites judiciaires ? Le chercheur soudanais Suliman Baldo est le fondateur du centre de réflexions Sudan Policy and Transparency Tracker. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier. 

    RFI : La ville d’el-Fasher est-elle au bord d'un massacre à grande échelle, comme dit l'ambassadrice des États-Unis à l'ONU ? 

    Suliman Baldo : Il y a des soucis bien justifiés pour qu'on craigne que ce soit le cas effectivement. Or, si cette offensive a lieu, il y aura certainement des victimes civiles en grand nombre. 

    Des victimes dans quelle communauté ? 

    Je ne m’attends pas à ce que le scénario d’el-Geneina, à l'ouest du Darfour, se répète, c'est-à-dire que je ne crois pas qu'il y aura un ciblage ethnique contre des communautés particulières au sein de la ville. Cependant, el-Fasher est une ville de peut-être un million et demi d’habitants, la moitié desquels sont des déplacés de guerre, et donc les combats vont avoir lieu dans un milieu urbain dense. Donc il y aura beaucoup de civils qui seront pris dans les feux croisés des combats. 

    Alors vous rappelez ce qu’il s'était passé il y a un an à el-Geneina, la capitale du Darfour occidental. Là, il s'agissait vraiment d'un nettoyage ethnique ? 

    C'était certainement un nettoyage ethnique parce que c'était la communauté des Masalit qui était ciblée par les Forces de soutien rapide et les milices arabes alliées aux Forces de soutien rapide. Celles-ci se sont attaquées aux quartiers résidentiels où vivent les Masalit, en tuant des milliers d’entre eux. Et d'ailleurs, il y a un rapport de l'organisation internationale Human Rights Watch qui donne des témoignages de survivants. Là, il y a eu une campagne d'épuration ethnique, dont le but était de récupérer la terre des Masalit, parce que le ciblage était sur base ethnique. Cela relève aussi d’un acte génocidaire, parce qu'ils ont tué des milliers de civils masalit dans ces attaques. 

    En janvier dernier, le procureur de la Cour pénale internationale, Karim Khan, a déclaré qu'il y avait des raisons de croire qu’au Darfour, les deux belligérants commettaient des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, voire un génocide. Le procureur renvoie donc les deux belligérants dos à dos. Mais les Forces de soutien rapide ne commettent-elles pas des crimes encore plus graves que les Forces armées soudanaises ? 

    Je suis d'accord avec vous, c'est tout à fait le cas, c'est-à-dire que les Forces armées soudanaises au Darfour – que ça soit à el-Geneina, à el-Fasher ou même dans d'autres chefs lieux, comme Nyala au Sud-Darfour –, toutes les garnisons de l'armée soudanaise dans ces villes étaient encerclées et donc n'étaient pas en mesure de perpétrer des crimes massifs à l'échelle de ceux commis par les Forces de soutien rapide à el-Geneina. Bien sûr, l'armée de l'air soudanaise a lancé des bombardements à répétition dans les villes et donc il y a eu beaucoup de victimes civiles collatérales, mais je ne crois pas que l'armée a eu la possibilité, ou même l'intention, de s'attaquer à des communautés civiles sur une base ethnique, comme c’était le cas pour les Forces de soutien rapide. 

    Faut-il inculper le général Hemedti pour crimes de guerre, voire crimes contre l'humanité ?

    Certainement, c'est mon évaluation. D'ailleurs, il y a une enquête officielle de la Cour pénale internationale au sujet des tueries qui ont eu lieu entre le mois d'avril et le mois de juin 2023 à el-Geneina, où beaucoup de Masalit ont trouvé refuge et où les Forces de soutien rapide se sont attaquées à eux, en en tuant encore des milliers parmi eux. 

    Et faut-il inculper aussi le général al-Burhan ? 

    Il y a de plus en plus d'implication de l'armée soudanaise dans des crimes de guerre. On a vu dernièrement, par exemple, des cas de ciblage sur une base ethnique dans les villes où l'armée est en contrôle, dans les États de l'Est et du Nord du Soudan. Tous les gens de l'Ouest du Soudan sont pris pour cible et menacés d'arrestations arbitraires, de torture et suspectés de jouer un rôle d'espion pour les Forces de soutien rapide. Donc il y a une responsabilité du commandement du général al-Burhan sur les exactions qui visent des civils pris dans les feux croisés de cette guerre qui a lieu aujourd'hui au Soudan.

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    13 May 2024, 9:58 am
  • 5 minutes 58 seconds
    Mounir Halim: «La collaboration public-privé est la clé pour une production compétitive des engrais en Afrique»

    Les pays membres de l'Union africaine étaient réunis cette semaine, du mardi 7 au jeudi 9 mai à Nairobi au Kenya, pour un sommet extraordinaire sur les engrais et la santé des sols. Un rendez-vous très important alors que les prix des engrais ont triplé, voire quadruplé au cours des dernières années, sous l'effet conjugué de la pandémie de Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Cette envolée des prix a rendu l'accès aux engrais plus difficile pour les agriculteurs africains, provoquant un appauvrissement des sols et une baisse des récoltes dans de nombreux pays. À l'issue du sommet de Nairobi, un plan d'action décennal a été présenté, avec 21 mesures pour favoriser la fertilité et la santé des sols. Mounir Halim est le fondateur et directeur d'Afriqom, une agence d'information spécialisée sur le marché des engrais en Afrique. 

    RFI : Dans la déclaration de Nairobi, les États se sont engagés à tripler la production domestique et la distribution d'engrais d'ici fin 2034 en Afrique, pour améliorer la fertilité des sols. Que pensez-vous de cet objectif affiché ? 

    Mounir Halim : Alors, sur le point de la production aujourd'hui, je ne vois pas ça comme un problème pour arriver à des consommations dont on a besoin pour le sol, parce qu’on a du produit qui vient de la Russie, du Moyen-Orient, mais surtout des produits africains. On voit déjà le potentiel avec la disponibilité du gaz, du phosphate, même de la potasse, des éléments primaires pour les engrais. Le problème, ce n’est pas la disponibilité des produits. Maintenant, je comprends que certains gouvernements veulent produire des engrais en Afrique. En parallèle, nous avons beaucoup d'entreprises internationales qui veulent investir, mais nous n’arrivons pas à construire des investissements de milliards de dollars. Pour moi, c'est ça la question. 

    Donc, les matières premières sont disponibles, il y a des investisseurs... Alors, quelle est la clé pour améliorer la fertilité des sols ? 

    C'est la collaboration entre le secteur public et privé. Parce que les gouvernements africains ne peuvent pas le faire tout seul. On a des acteurs africains ainsi que des acteurs internationaux qui veulent développer l'Afrique. Ils sont prêts, mais ils ont besoin des réglementations qui vont faciliter et protéger leurs investissements. Mais l'intérêt est là. Je vois parfois des gouvernements qui font des régulations super efficaces, par exemple au Nigeria et en Tanzanie. Il faut apprendre de ces exemples et les appliquer dans d'autres pays. 

    Comment les prix des engrais ont-ils évolués depuis 2020 et est-ce que, désormais, ils se sont stabilisés ? 

    Je vous donne un exemple donc de l'urée. C’est l'engrais azoté qui est le plus utilisé dans le monde et aussi en Afrique. L'urée, arrivée au port africain en décembre 2020, était autour de 300 dollars la tonne. En mars 2022, on est arrivé à 1 100 dollars par tonne. Aujourd'hui, on est retourné à 350 dollars la tonne.  

    Et peut-on dire que les chocs de la guerre en Ukraine et du COVID-19 ont été surmontés ? 

    Malheureusement, non. C'est parce qu'on a découvert, avec ce choc du COVID-19, c'est qu'en Afrique, nous ne sommes pas prêts à gérer ces chocs. Et on l'a vu depuis des dizaines d'années : il n'y avait pas de fluctuations dans les marchés d'engrais. Mais en 2006/2007, nous avions la flambée des prix... Après, nous en sommes revenus et là, on voit que ça arrive de plus en plus. C'est lié à beaucoup d'autres éléments, comme tout ce qui est politique, le changement climatique, la crise financière. Et d'ailleurs, avoir une préparation pour gérer les chocs n’était pas du tout mentionné dans la déclaration, alors qu'on vient de sortir d'un choc, justement. C'est pourquoi cette déclaration, à mon avis, manque de beaucoup d'éléments importants. 

    L'Afrique compte plusieurs grands producteurs d'engrais, le Nigeria, l'Algérie, le Maroc ou l’Afrique du Sud. Aujourd'hui, est-ce que leurs exportations sont tournées prioritairement vers le continent africain lui-même ? 

    La réponse est oui et non. Par exemple, le Maroc exporte plus que 20%, parfois 30%, de leur export mondial vers l'Afrique. Maintenant, vous avez mentionné l’Algérie. Ça, c'est un peu décevant : pratiquement, je dirais 0% qui part vers l'Afrique. La même chose pour l'Égypte. Pour l'Afrique de l'Ouest, la grande production est au Nigeria. Il y a deux grands producteurs : Dangote et Indorama. Indorama fait beaucoup de distribution au Nigeria et un peu aussi sur l'Afrique de l'Ouest. Dangote, moins, ils se focalisent plutôt sur le Brésil. Donc, j'aimerais bien voir ces grands producteurs africains avoir une stratégie africaine. 

    Et est-ce que le prix des engrais africains est suffisamment attractif, aujourd'hui, pour concurrencer les engrais russes par exemple ? 

    Si je reste sur l'exemple d’urée, c’est sur le coût de production qu’on va comparer le produit russe et le produit nigérian. Les producteurs russes ont un accès à un gaz qui est très compétitif... les Nigérians aussi. Mais les Russes ont besoin d’affréter ce produit. Vous avez un élément de prix additionnel, alors que les Nigérians ne vont pas l'avoir. Donc, on peut produire du produit assez compétitif en Afrique. On a un défi, il faut qu'on persévère, persévère, persévère... parce que le potentiel est là et il est énorme. Et l'Afrique va nourrir sa population, mais surtout le monde. Et pour ça, on a besoin de travailler avec les gouvernements africains pour ramener des réglementations qui vont encourager de plus en plus le développement du secteur agricole en Afrique. 

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    11 May 2024, 6:27 am
  • 4 minutes 22 seconds
    Présidentielle au Tchad: selon T. Vircoulon, «On ne peut pas connaître la vérité des résultats de la commission électorale»

    Au Tchad, le président de transition Mahamat Idriss Déby est élu dès le premier tour, selon les résultats provisoires annoncés hier soir par la Commission électorale. Avec 61 % des voix, il arrive loin devant le Premier ministre Succès Masra, crédité de 18 %, et l'ancien Premier ministre Pahimi Padacké, qui frôle les 17 %. Que penser de ces résultats ? Et que prévoir après l'annonce par le Premier ministre qui affirme que c'est lui qui a gagné ? Thierry Vircoulon est chercheur associé à l'IFRI, l'Institut français des relations internationales. Il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Êtes-vous surpris par l'annonce de la victoire du président de la transition dès le premier tour ?

    Thierry Vircoulon : Oui, on est surtout surpris que l'agence électorale Ange ait pu compiler les résultats des 26 000 bureaux de vote aussi vite, puisque elle-même disait qu’il lui faudrait quand même un certain nombre de jours pour faire cette tâche et qu'elle avait jusqu'au 21 mai pour l'accomplir. Donc 26 000 bureaux de vote compilés avec les résultats analysés et compilés aussi vite, c'est très très surprenant.

    Et pourquoi cette accélération, peut-être pour ne pas laisser enfler la polémique ?

    Oui, je crois que la raison, c'était de prendre de vitesse Succès Masra, d'éviter qu’il y ait en effet des annonces prématurées sur les résultats électoraux et que ça fasse monter en fait la température à Ndjamena et dans les grandes villes du pays. Et je pense que, en effet, cette soudaine accélération du travail de compilation de l'Agence électorale avait quand même des intentions politiques assez claires.

    À quel autre scrutin vous fait penser cette élection ?

    Cela fait penser au scrutin de 1996, qui était aussi l'élection de sortie de la première transition et qui a été remportée par le président Idriss Déby. Mais à ce moment-là, cette élection a été remportée au deuxième tour et pas au premier tour, et donc là, on voit quand même la différence. Mais c'est la deuxième transition tchadienne qui se termine avec une victoire électorale d'un membre de la famille Déby.

    L'autre fait marquant de la soirée d'hier, c'est que le Premier ministre Succès Masra, trois heures avant l'annonce des résultats officiels, a annoncé que c'est lui qui avait gagné et a appelé les Tchadiens à se mobiliser pour ne pas se laisser voler leur victoire. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

    Ça fait penser que les jours qui viennent vont être extrêmement tendus puisqu’on a une situation assez classique, si je puis dire, dans les élections africaines, où la commission électorale proclame un vainqueur et puis son challenger conteste les résultats et dit que c'est lui le vainqueur. Ce qui est clair, c'est que, dès hier après-midi, l'armée tchadienne a été déployée à Ndjamena. Et donc les jours qui viennent vont être très militarisés parce que le pouvoir s'attend à une épreuve de force avec les partisans de Succès Masra, puisqu'il a appelé dans son message à ne pas se laisser voler la victoire. Et donc il y a un risque d'épreuve de force dans la rue.

    Depuis un mois, beaucoup de Tchadiens disaient que le duel entre le président Mahamat Idriss Déby et le Premier ministre Succès Masra était une mascarade et que les deux hommes avaient conclu, en fait, un accord secret. Est-ce que le scénario d'hier soir ne dément pas cette thèse de la collusion ?

    Il y a eu un accord, mais c'était un accord pour le retour de Succès Masra et le fait qu'il puisse être candidat aux élections... Est-ce qu'il y avait un accord sur l'après élection ? Là, en effet, on peut en douter, parce qu’on a vu que, ces dernières semaines, Succès Masra est vraiment entré dans le jeu électoral et a mené une vraie campagne électorale qui a provoqué un vrai engouement populaire autour de sa candidature. Et donc, s'il y a eu un accord, il est clair qu'aujourd'hui il ne tient plus. Mais peut-être n'y en a-t-il pas eu. Mais en tout cas, il s'est posé vraiment comme le challenger du président et maintenant il réclame la victoire, contrairement à ce que vient de dire l'Agence électorale.

    Et du coup, est-ce que la cohabitation entre le président et le Premier ministre peut tenir longtemps ?

    Non, il est évident qu’avec le discours qu’il vient de faire avant la proclamation des résultats, ce n'est plus possible. Mais il faut quand même rester prudent. Il peut toujours y avoir des arrangements de dernière minute, notamment peut-être pour éviter la confrontation dans la rue dont je parlais tout à l'heure.

    Selon les résultats provisoires annoncés hier, le Premier ministre Succès Masra est talonné par une autre personnalité du sud du pays, l'ancien Premier ministre Albert Pahimi Padacké. Quel est votre commentaire ?

    Le problème de cette élection, comme d'ailleurs trop souvent dans les élections africaines maintenant, c'est qu’il n'y a plus d'observateurs. Il n’y a pas d'observateurs internationaux véritablement. Et même pas les observateurs nationaux qui avaient été formés, leurs accréditations ayant été refusées par l'agence électorale. Donc maintenant on se retrouve avec des élections où personne n'est capable de contre vérifier les résultats annoncés par la commission électorale. Par conséquent, on peut dire 16%, 15%, 20%, on a un peu l'impression que, de toute façon, les chiffres n’importent plus puisqu’on ne peut pas connaître leur vérité. Et on ne peut pas connaître leur vérité parce que les organisateurs électoraux ont vraiment tout fait pour qu'il n'y ait pas d'observation impartiale possible.

    10 May 2024, 4:58 am
  • 8 minutes 41 seconds
    A. Agbénonci: dans le bras de fer Bénin-Niger: «Il faut désigner des intermédiaires, personne ne sera gagnant»

    Rien ne va plus entre le Bénin et le Niger. Voilà bientôt six mois que le Niger refuse de rouvrir la frontière entre les deux pays. Et mercredi 8 mai, le président béninois Patrice Talon a confirmé l'information RFI de ce lundi, à savoir la décision du Bénin de bloquer l'embarquement du pétrole nigérien au niveau de la plateforme de Sémé Kpodji, sur les côtes béninoises. Jusqu'à 2023, Aurélien Agbénonci était le ministre béninois des Affaires étrangères. Aujourd'hui, il travaille auprès du Forum de Crans-Montana, qui fait du conseil stratégique. De passage à Paris, il livre son analyse au micro de Christophe Boisbouvier.

    RFI : Après le refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, celui-ci décide de bloquer l'évacuation du pétrole nigérien, quelle est votre réaction ? 

    Aurélien Agbenonci : J'ai été un peu surpris d'apprendre que le gouvernement du Bénin avait pris une telle mesure. Je pensais qu'on était dans une démarche d'apaisement et de retour à la sérénité, donc j’ai été très surpris.

    À l'origine de cette crise entre les deux pays, il y a le putsch au Niger le 26 juillet dernier et la décision du Bénin de s’associer aux autres pays de la Cédéao. Ils ont alors sanctionné les putschistes de Niamey. Est-ce que c'était, d'après vous, la bonne décision ? 

    Je m'étais abstenu pendant un an de m’exprimer sur ces questions-là, une sorte de silence que je m’étais imposé volontairement, et je me suis dit qu'après un an, il était peut-être temps que je me fasse entendre pour contribuer à la recherche de solutions.

    Je pense que ce n'était pas la bonne décision parce que la Cédéao, qui a recommandé ces sanctions qui sont plutôt radicales, est elle-même dans une crise identitaire. On parle d'une Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, puis on s'est retrouvé dans une situation où la communauté économique est partie directement sur un terrain politique. Et lorsque vous imposez des sanctions politiques - alors que votre rôle est de rester d'abord dans la recherche de convergences économiques pour pouvoir pousser la croissance et favoriser le développement dans cet espace communautaire -, forcément, on arrive à une situation difficile comme celle-là.

    Et donc la décision, elle était dure, elle est conforme à un protocole qui existe, le protocole sur la gouvernance de la Cédéao. Et je pense que, très sérieusement, on aurait dû trouver une manière un peu plus simple de régler le problème, à savoir forcer sur le dialogue, trouver des compromis, établir des échéances de retrait des forces qui ont été responsables de ces changements, de ces ruptures dans l'ordre constitutionnel. Ce sont des choses qui ont déjà fonctionné dans le passé, mais je crois qu'on est allés un peu trop fort et, quand on va trop fort, parfois, ça ne marche pas.

    À la fin de l'année dernière, le Bénin a assoupli sa position à l'égard du Niger. Le président Talon a annoncé sa volonté de normaliser les relations et de rouvrir la frontière Bénin-Niger, mais le Niger a refusé la main tendue. Qu'en pensez-vous ?

    En fait, ce qu’il s'est passé, c'est que le dialogue a été vicié. Il y a eu des suspicions, des accusations de part et d'autre qui, forcément, ont fait disparaître la confiance entre les parties. Ensuite, je crois que le Bénin, peut-être, a sous-estimé l'importance du Niger dans son économie. Et on a vu le résultat plus tard, la situation du port de Cotonou en a souffert.

    Et du coup, le Togo en a profité.

    Le Togo en a profité. J'ai écouté les autorités des deux pays et j'ai compris qu'en fait, le Togo n'avait pas préparé spécialement une manœuvre contre le Bénin. Le Bénin non plus n'avait pas prévu que les choses prendraient une telle proportion et je pense qu’une saine appréciation de la réalité et du rôle de chacun aurait pu amener à éviter cette situation. 

    Pour justifier son refus de la normalisation, la junte au pouvoir au Niger a accusé le Bénin d'abriter secrètement une base militaire française dans le nord de votre territoire, est-ce que c'est crédible ?

    Il ne m'appartient pas de répondre à cela, puisque je ne suis plus aux affaires depuis maintenant 12 mois, mais je ne pense pas que cette lecture est exacte.

    Et c'est en effet catégoriquement démenti par les autorités béninoises. 

    Je n'ai pas de raison de ne pas les croire.

    Ces derniers jours, le ton est monté entre Niamey et Cotonou. C'était à l'occasion de la future inauguration de la plate-forme pétrolière de Sèmè-Kpodji, sur la côte béninoise. Le Niger a alors décidé d'envoyer une délégation au Bénin sans prévenir les autorités béninoises, en demandant simplement aux Chinois de la compagnie pétrolière CNPC de faire passer le message au Bénin. C'est un peu vexant, non ?

    Je n'ai pas les détails de ce qu’il s'est passé. Ce que je sais, c'est qu'il faut trouver des mesures d'apaisement. Je crois que le projet de pipeline est un projet important. C'est un beau projet. Je me souviens moi-même avoir été visiter les installations avec l'ancien président Bazoum lorsqu’il visitait le Bénin. Disons que le projet de pipeline mérite mieux que ce qu’il se passe. 

    La compagnie pétrolière chinoise CNPC a avancé le 12 avril dernier quelque 400 millions de dollars au pouvoir militaire nigérien. Mais cette avance, elle va être très vite consommée par le Niger. Et puis après, si le pétrole ne coule pas, il n'y aura plus d'argent pour le Niger. Est-ce qu'un jour ou l'autre les deux parties ne vont pas devoir revenir à la table, peut-être sous médiation chinoise ?

    Je ne sais pas quelle sera la médiation, mais je crois qu'il faut désigner tout de suite des intermédiaires pour leur permettre de se parler. Et, le plus important pour moi, c'est que cette escalade s'arrête. Personne ne sera gagnant dans cette guerre, personne. 

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    9 May 2024, 4:48 am
  • 10 minutes 21 seconds
    RDC: «La plupart du temps, il y a une saine collaboration entre l'Église et l'État»

    En République démocratique du Congo (RDC), le torchon brûle entre le pouvoir politique et l'Église catholique. Il y a dix jours, on a appris que le cardinal archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo, était menacé de poursuites judiciaires pour « propos séditieux » de nature à décourager les militaires qui combattent dans l'est du pays. Mgr Ambongo passera-t-il un jour en procès ? L'historien congolais Isidore Ndaywel est l'un de ses proches. Il est aussi le coordinateur national du puissant Comité laïc de coordination. 

    RFI : Des menaces de poursuites judiciaires contre le numéro un de l'Église catholique au Congo [Fridolin Ambongo], est-ce que ce n'est pas une première dans l'histoire de ce pays 

    Isidore Ndaywel : C'est vrai qu'il existe une lettre du procureur général de la Cour de cassation au procureur de la Cour d'appel de Matete, l'instruisant à ouvrir une action pénale à l'endroit du cardinal, mais ceci demeure une lettre d'intention.

    Dans une interview au Figaro, le Président Tshisekedi lui reproche d'avoir dit récemment que le Congo armait les miliciens hutu FDLR, et de s'être fait ainsi le « propagandiste du Rwanda ». 

    Il faut préciser que le cardinal Fridolin Ambongo, son discours est de dire que la conférence épiscopale du Congo, la CENCO, condamne la rébellion, condamne les violences de l'est. Récemment encore, les évêques de la CENCO viennent de le faire pour ce qui s'est passé à Mugunga, près de Goma. Mais le cardinal a voulu dire, je crois, qu’il y a aussi des turpitudes qui relèvent de nous-mêmes. Je pense que c'est là où, effectivement, une telle déclaration n'est pas pour plaire au pouvoir, au président de la République. Donc effectivement, nous sommes en présence d'une situation conflictuelle. Mais il ne faut pas non plus qu'on exagère lorsqu'il y a des couacs à certains moments, surtout qu'il y a eu encore récemment un accord-cadre entre le Saint-Siège et l'État congolais.

    En décembre dernier, le cardinal avait qualifié la présidentielle de « gigantesque désordre organisé ». Est-ce que la crispation actuelle entre le pouvoir et l'Église catholique ne date pas de ce moment-là ?

    Disons que, globalement, nous savons que l'Église au Congo constitue une force tranquille. Mais une force de gauche qui, à plusieurs moments de notre histoire, rappelle à l'État le bien-fondé d'un certain nombre de principes de gestion. S'agissant des élections, oui, bien sûr. On savait depuis le départ que les élections allaient aboutir à énormément de difficultés, en commençant d'abord par la carte d’électeur qui n'était pas visible pour la plupart des citoyens. Donc voilà, il y a eu des problèmes réels à propos des élections. 

    Pourquoi dites-vous que l'Église est une force de gauche ? Pourquoi pas une force de droite 

    Je dis que c'est une force de gauche dans la mesure où cette force se trouve au ras du sol, auprès du petit peuple, de la réalité du quotidien. 

    Et peut-on dire que l'Église est, au Congo, une sorte de contre-pouvoir 

    Absolument, l'Église est une sorte de contre-pouvoir. Mais l'Église s'en tient aux institutions légales du pays. Et sur ce point-là, l'Église reste dans son rang. Nous n'avons pas eu au Congo la situation qu'on a eue au Congo-Brazzaville, où il y a eu un prélat [l’abbé Fulbert Youlou] qui est devenu le chef de l'État, ou en Centrafrique, où nous avons vu le père Barthélémy Boganda devenir un homme politique. Non, le Congo n'a jamais eu cette situation depuis le cardinal Malula, jusqu'à maintenant, avec Fridolin Ambongo.

    Depuis la présidentielle de décembre, les opposants Moïse Katumbi et Martin Fayulu sont beaucoup moins audibles. Est-ce que l'Église catholique n'est pas en train d'occuper le terrain de l'opposition face à Félix Tshisekedi et de prendre le leadership de cette opposition 

    L’Église ne fait pas de la politique directement. L'Église s'occupe des problèmes essentiellement de type socio-économique. En ce qui concerne les questions frontales de la politique, normalement, c'est l'opposition et ça ne relève pas de l'Église. 

    On sait que Monseigneur Fridolin Ambongo fait partie du « C9 », le Conseil des cardinaux les plus proches du pape, depuis quatre ans. Est-ce qu'aujourd'hui ce début de procédure judiciaire contre le cardinal, ce n'est pas le signe que Félix Tshisekedi n'est pas dans un moment d'apaisement avec le Vatican et avec votre Église ?

    Je ne pense pas, je voudrais quand même rappeler que, lorsque Fridolin Ambongo a été fait cardinal, le président Tshisekedi a fait le déplacement de Rome. 

    Donc, vous ne pensez pas que Monseigneur Fridolin Ambongo passera un jour en procès ?

    À mon avis, non. Je constate que, depuis qu'il y a eu cette lettre, elle demeure une lettre. On n'a pas été au-delà d'une lettre.

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    8 May 2024, 5:09 am
  • 9 minutes 14 seconds
    Niger: «Mahamadou Issoufou est le commanditaire du putsch», selon la fille du président déchu Mohamed Bazoum

    Hinda est l’une des cinq enfants du président nigérien Mohamed Bazoum, qui est séquestré depuis neuf mois à Niamey avec son épouse. Ce mardi matin, en exclusivité sur RFI, elle lance un « appel de détresse » en faveur de la libération de ses parents. Et elle accuse l’ancien président Mahamadou Issoufou, d’être non seulement à l’origine du putsch qui a renversé son père en juillet 2023, mais aussi d’être derrière les poursuites judiciaires dont son père est menacé vendredi prochain devant la Cour d'État de Niamey.

    RFI : Dans une tribune, vous dites que le cerveau du putsch [du 26 juillet 2023] n'est autre que l'ancien président Mahamadou Issoufou, l'ami de toujours de votre père. Qu'est-ce qui vous fait dire ça 

    Hinda Bazoum : À son comportement, tout d'abord. Il n'a jamais condamné le putsch. Pire, il s'affiche même aux côtés des putschistes. Il est allé présenter ses vœux pour l'Aïd et saluer [le général] Tiani au palais présidentiel. Quel démocrate fait ça ? Il était l'ami de notre père, mais n'a fourni aucun effort pour lui. Il n'a jamais cherché à le rencontrer ni à exiger sa libération. Il n'a jamais cherché à rentrer en contact avec nous, les enfants. Chose plus curieuse encore, lorsque la communauté internationale souhaitait exiger un retour à l'ordre constitutionnel, au lieu d’abonder dans le même sens, il a plutôt plaidé pour une courte transition, une nouvelle Constitution et de nouvelles élections, sûrement pour pouvoir revenir au pouvoir. Lui qui se voulait grand démocrate est en fait un grand dictateur. 

    Est-ce que vous pensez que Mahamadou Issoufou a pris le train en marche, qu'il a profité du putsch pour faire ce que vous dites ?

    Non, pas du tout. C'est bien lui le commanditaire du putsch. L'idée a mûri dans la tête d'une seule personne, Mahamadou Issoufou. Mon père était sûrement devenu trop gênant pour les gens de son clan. Du temps de mon père, il faut dire que la lutte contre la corruption était bien lancée. Elle avait permis l'arrestation de 40 cadres par la justice, dont les membres du parti PNDS de mon père, ce qui est inédit au Niger et qui prouve que la justice était indépendante. Il était en train de mettre fin à l’affairisme, à la gabegie au sommet de l'État. Et c'est là qu'Issoufou s’est senti en danger à travers les intérêts de ses amis et, certainement, les siens.

    Donc il a véritablement dupé votre père dans les derniers jours d'avant le 26 juillet ?

    Beaucoup plus, il l'a trahi. Il a trahi tout un peuple, il a trahi ses amis de lutte. C'est comme un cauchemar pour nous.

    Hinda Bazoum, vous allez plus loin puisque vous dites aujourd'hui que la menace de levée d'immunité de votre père afin de pouvoir le juger pour haute trahison, c'est une manœuvre de l'ancien président Issoufou lui-même…

    Oui, tout à fait, parce que, face à la résistance de mon père, à son refus de démissionner, je pense que c'est quelque chose qu'ils n'ont pas imaginé au début. La dernière cartouche d'Issoufou serait de lever l'immunité de mon père pour le faire condamner, de sorte à le rendre inéligible pour laisser le champ libre à Issoufou de cette manière. Et ils ont créé de toutes pièces une nouvelle Cour d'État qui se substitue aux tribunaux de la Constitution, à la tête de laquelle est nommé un proche d’Issoufou.

    L'audience de la Cour d'État de Niamey est prévue vendredi prochain, qu'est-ce que vous attendez des magistrats de cette Cour 

    J'espère qu'ils feront preuve d'impartialité. C'est un rendez-vous avec l'histoire qui se présente à eux, il faut qu'ils en aient conscience.

    Si votre père démissionnait de ses fonctions de président de la République, tout irait mieux pour lui, font savoir les officiers putschistes. Pourquoi refuse-t-il de démissionner ?

    Je ne pense pas que tout irait mieux pour lui, non. Et mon père ne démissionne pas parce que c'est un démocrate sincère. Il est courageux et ce combat, il le mène pour le Niger tout entier et pas que pour lui. C'est un homme de principes, mon père, et je peux vous assurer qu'il continuera le combat. 

    En janvier, Hinda Bazoum, votre frère Salem, qui était séquestré avec vos parents, a été libéré. Est-ce que vous avez cru à ce moment-là que c'était bon signe pour vos parents ?

    Oui, bien sûr. C'était déjà un premier soulagement pour nous que notre petit frère sorte de cette prison. On a espéré et rien n'est jamais venu. C'est dur pour nous, vraiment très dur. 

    C'est le Togo et le président Faure Gnassingbé qui ont aidé par leur médiation à la libération de votre petit frère. Est-ce que ce pays ou d'autres pays de la Cédéao peuvent intercéder en faveur de votre père et de votre mère ?

    Oui, bien sûr. Et d'ailleurs, nous appelons les démocrates sincères et la Cédéao, qui a toujours rendu hommage à la bonne gouvernance de mon père, à nous aider à obtenir la libération de nos parents et à rétablir la démocratie au Niger. Il est du devoir des chefs d'État africains effectivement de défendre la démocratie et d'obtenir la libération de nos parents. 

    Donc c'est un appel que vous leur lancez ?

    C'est un appel que je lance effectivement. Un appel de détresse !

    Hinda Bazoum, c'est la première fois que vous vous exprimez de vive voix dans un média international. Je sais que ce n’est pas facile pour vous de prendre la parole. Pourquoi tenez-vous à le faire aujourd'hui ?

    Parce que l'heure est grave. Si je sors du silence, c'est parce qu'il y a urgence. J'ai décidé de prendre la parole au nom de mes frères et sœurs pour dénoncer cette injustice et surtout désigner l'unique responsable. Nous nous sentons abandonnés et on espère sincèrement que la communauté internationale n'oubliera pas nos parents. 

    Avez-vous peur qu'on oublie vos parents ?

    Effectivement, c'est une peur, mais nous espérons que mon appel sera entendu et que notre voix sera portée loin pour la libération de nos parents et la démocratie au Niger.

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    7 May 2024, 4:25 am
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