Du lundi au vendredi, Christophe Boisbouvier reçoit un acteur de l'actualité africaine, chef d'Etat ou rebelle, footballeur ou avocate... L'invité Afrique, c'est parfois polémique, mais ce n'est jamais langue de bois. Diffusion : 05h52 Retrouvez les sujets traités par cette émission sur RFI SAVOIRS = http://savoirs.rfi.fr/
En RDC, près de 7 millions de personnes sont toujours déplacées internes en raison des différents conflits. La situation dans l’est du pays est particulièrement critique, notamment dans le Nord-Kivu, une zone où sévit depuis plus de deux ans le groupe armé M23, soutenu par le Rwanda voisin. Dans les camps, les conditions de vie sont infrahumaines, répètent régulièrement les autorités et les acteurs humanitaires. C’est aussi la position d’Emmanuel Lampaert. Il est le directeur pays de Médecin sans frontières en RDC, et il revient tout juste d’une mission dans l’est. Il s’est confié à notre correspondante, Paulina Zidi.
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Alors que l’élection présidentielle en Côte d’Ivoire doit se tenir en octobre prochain, l’un des principaux partis politique pouvant faire obstacle au RHDP d’Alassane Ouattara n’a pas encore désigné son candidat. Le Parti démocratique de Côte d'Ivoire Rassemblement démocratique africain (Pdci-Rda) donne lieu en ce moment à une série de passe d’armes entre son président Tidjane Thiam et le député et ex-ministre Jean-Louis Billon qui a déclaré sa candidature à la présidentielle. Via les réseaux sociaux ou des interviews télévisés, chacun estime que l’autre n’est pas le bon choix pour représenter le parti fondé par Félix Houphouët Boigny. Tidjane Thiam tient ce samedi 21 décembre à Aboisso un meeting pour célébrer l’anniversaire de son accession à la présidence du PDCI. Jean-Louis Billon est notre invité, ce matin, sur RFI.
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Fini le temps de la colère. Cette fin d’année, Samuel Eto’o se montre beaucoup plus diplomate et conciliant à l’égard de ses adversaires d’il y a six mois, le ministre camerounais des Sports et le sélectionneur belge qu’on lui a imposé à la tête des Lions indomptables. Mais en même temps, le président de la Fédération camerounaise de football ne s’avoue pas vaincu et n’exclut pas d’être candidat, dans un an, à un second mandat à la tête de la Fecafoot. Dès ce mois de mars, il sera candidat à un siège au comité exécutif de la CAF, l’instance faîtière du football africain. Et il compte bien sur le soutien du président de la CAF, le Sud-Africain Patrice Motsepe, pour arriver à ses fins. Les interviews de l’ancienne star du football mondial sont rares. Pour la première fois depuis son conflit ouvert avec le ministre camerounais des Sports, Samuel Eto’o s’exprime et c’est sur RFI.
RFI : Merci de recevoir RFI. Voilà trois ans que vous présidez la Fecafoot, la Fédération camerounaise de football. Mais depuis le mois d'avril dernier, vous avez perdu le contrôle administratif et financier de la sélection nationale des Lions Indomptables au bénéfice du ministre camerounais des Sports. Est-ce que ce n'est pas un gros coup dur ? Est ce que vous n'avez pas envie de laisser tomber ?
Samuel Eto'o : C'est toujours un plaisir de te recevoir, Christophe. Il y a eu des défis. Je préfère les appeler ainsi. Et nous n'avons rien perdu parce que le job de la Fédération est administratif. Les gens semblent l'oublier quand ils veulent, mais il est bien de remettre les choses dans le contexte. La Fédération est reconnue et est en lien avec la CAF et la FIFA. Toutes les transmissions qui peuvent se faire et qui doivent se faire passent automatiquement et uniquement par la Fédération. Donc administrativement, on ne souffre de rien. Et il y a un autre volet, celui qui est financier, qui personnellement ne me pose pas de problème. Mais il s'avère qu’en 2014, le chef de l'Etat, dans sa vision sportive et footballistique, avait signé un décret, un décret qui mettait la Fédération face à ses responsabilités. Ça, c'est le côté financier. Donc ces deniers publics, qui sont contrôlés par les services de l'État, sont sous la responsabilité du président de la Fédération camerounaise de football. Il s'avère que, depuis le mois d'avril, comme vous le dites, ce décret n'est pas respecté.
Mais je vous dis encore que je suis tranquille. Pourquoi ? Parce que vous n'êtes jamais à l'abri d'une mauvaise accusation ou d'une fausse accusation qui pourrait faire beaucoup de dégâts. Maintenant, pour que la responsabilité du président de la Fédération que je suis ne soit plus engagée, il suffisait juste de faire les choses bien. Ça veut dire me saisir administrativement et dire que le décret du chef de l'État de 2014 ne serait plus respecté. Et dès lors, moi, quand les services de l'État se présenteront à la Fédération camerounaise de football pour qu'on travaille sur les justificatifs et sur les lignes budgétaires qui ont été mises à la disposition de la Fédération camerounaise de football, ça veut dire que je puisse brandir un document qui couvre ma responsabilité. Mais il s'avère que ce document n'existe pas et j'espère que le moment venu, quand il faudra répondre à toutes ces questions, on n'essaiera pas de manipuler l'opinion publique en essayant d'engager la responsabilité du président de la Fédération camerounaise de football. Tous les problèmes que vous avez eus, je dis, c'est dommage, parce que nous travaillons normalement pour le même objectif.
Seulement, notre objectif, c'est d'aller un peu plus loin, se permettre de rêver, de dire qu’il faut construire les victoires de demain et c'est ce que nous faisons. Et vous êtes mieux placé que moi pour savoir que les victoires de demain se construisent aujourd'hui et elles se construisent 1 – dans la sérénité, 2 – en respectant les règles, 3 – en suivant un projet. Et nous suivons seulement le projet que nous avons proposé aux électeurs qui nous ont fait confiance. Parce que dans quelques mois, dans moins d'un an bientôt, nous nous mettrons devant ces électeurs pour faire le bilan de ce que nous avons promis. Alors comment nous allons justifier le fait de dire que nous n'avons peut-être pas atteint toutes les performances ou les résultats que nous souhaitons avoir ? D'autres ne comprendront pas qu'il y ait eu des interférences, qu'il y ait eu des gens qui sont rentrés pour des raisons que je ne souhaite pas évoquer ici. Parce qu'une fois de plus, ces raisons peuvent mettre notre beau pays, le Cameroun, dans une situation que nous autres, nous ne souhaitons pas voir.
Donc dans un an, vous serez candidat à votre succession ?
Écoutez, nous avons encore plusieurs mois devant nous. Nous verrons. C'était vraiment une année difficile, mais nous avons tenu bon. Continuons d'avancer. Je verrai avec les partenaires, ceux qui m'ont fait confiance, ceux qui m'accompagnent à longueur de journée. Est-ce que ça vaut le coup qu'on continue ou pas ? Et en fonction de ça, nous allons nous prononcer le moment venu. Mais comme je vous dis, le plus important pour nous, c'est de faire autrement, c'est de montrer qu'on peut construire les victoires de demain.
Alors vous parlez de mauvaises accusations. On l'a vu lors d'une vidéo au mois de mai dernier, où vous avez laissé exploser votre colère, vous êtes en conflit ouvert avec le sélectionneur des Lions indomptables, le Belge Marc Brys. Et dans une interview au journal Dernière Heure, à Bruxelles, celui-ci vous a un peu épinglé quand même. Il reconnaît que vous êtes populaire, que vous êtes très puissant, mais il dit que vous n'avez réussi que comme footballeur et que vous avez échoué dans tous les autres domaines, c'est à dire comme entraîneur, comme entrepreneur et comme président de la Fédération.
Christophe, si je vais répondre à un employé, vous verrez que je perdrai le niveau qui est le mien. Donc, je vais rester à mon niveau de président. Mais juste une petite parenthèse. Je ne pense pas que toutes ces personnes qui parlent, si elles n'étaient pas employées par la Fédération camerounaise de football ou par l'État du Cameroun, vous parleriez de ces personnes-là. Mais je pense que, quand vous citez le nom de Samuel Eto'o, les gens se reconnaissent en Samuel Eto'o et se projettent même pour devenir Samuel Eto'o. Ça veut dire que, quelque part, j'ai réussi quelque chose. Et pour revenir à ce qui nous lie, je pense que certaines positions de ce monsieur auraient pu être revues. Parce que, si vous travaillez pour le Cameroun, nous avons le même objectif, celui des victoires. Mais il s'avère que le président que je suis aujourd'hui a été dans cette équipe pendant plus de 24 ans et que je connais mieux que quiconque les vrais problèmes de cette équipe. Pour certains, la seule chose qui les intéresse, c'est l'équipe fanion. Mais pour nous autres, c'est l’ensemble de toutes les sélections et c'est ce que les gens ne veulent pas comprendre. Quand vous dites « On m'a épinglé », je dis que les gens se donnent de la visibilité à travers moi. Parce que, si vous ne parlez pas de Samuel Eto'o, on ne sait même pas d'où vous êtes sorti. Et puis vous pouvez retracer. Dans le football, on se connaît. Avant l'arrivée de ces personnes dans notre belle équipe, moi je ne les connaissais pas et je n'ai pas de problème personnel avec toutes ces personnes. Et ma philosophie est de prendre ce qu'il y a de bon en chacun de nous pour se mettre ensemble, pour atteindre les objectifs communs que nous pouvons nous donner.
Et ce qu’on doit mettre au-dessus de tout ça, ce sont les objectifs communs que nous avons. Je n'ai pas de problèmes de personnes avec qui que ce soit. J'ai une mission qu’on m’a confiée et je dois la remplir. Point final. À partir de là, je dois m'assurer que le côté administratif, qui est impeccable et sans reproche à la Fédération camerounaise de football, se passe très bien. Et j’en profite pour féliciter mes collaborateurs et, très souvent, nous rentrons dans des débats parce que les gens ne comprennent pas, parce qu'ils n'ont jamais travaillé à un certain niveau. Ils ne savent même pas comment ça fonctionne et on nous envoie dans des débats qui n'ont pas lieu d'être. Je vous prends juste un exemple, Christophe. Vous savez que, quand vous devez convoquer un joueur qui a joué pour une autre nation de football, il y a toute une démarche administrative à suivre. Les gens se lèvent un matin, ils convoquent des joueurs qui ont joué pour d'autres nations et qui se donnent la latitude de dire que la Fédération travaille contre nous. Ça ne se passe pas comme ça. Ce sont des choses qu’il faut anticiper. Mais je comprends que ces gens n'ont pas travaillé à ce niveau et que ces gens ne peuvent pas comprendre. Mais il faut apprendre. Il n’y a rien de mauvais à apprendre et nous sommes tous là pour nous serrer les coudes et avancer et tout faire pour que l'équipe nationale fanion du Cameroun retrouve la place qui était la sienne. Il y a des gens qui ont travaillé pour ça.
Donc je dis souvent que parfois les gens se lancent dans des polémiques qui n'ont pas lieu d'être, un blocage qui n'a pas lieu d'être. Il suffit juste de poser les bonnes questions et on répondra, on apportera des éléments. Mais quand vous regardez, tout a été fait dans les règles de l'art à la Fédération camerounaise de football. Administrativement d'ailleurs, il n’y a plus de problème aujourd'hui. Même si nous avons appris que maintenant les paiements se font en cash, ce que nous avons banni à un moment donné parce que ça créait la suspicion et parce qu’il faut une meilleure traçabilité. Il fallait insister et je souhaite qu'on insiste parce que, sinon, nous allons repartir 20 ans en arrière, à l’époque où on payait des gens en cash et on ne savait pas trop où l'argent passait.
Les résultats, ils sont plutôt bons en ce moment pour l'équipe fanion, pour les Lions indomptables. Elle s'est qualifiée pour la prochaine CAN au Maroc. Il n'y a pas eu de défaite depuis le mois de juin, depuis que Marc Brys est le sélectionneur de cette équipe. Il n’est pas si mal, finalement, ce sélectionneur belge, non ?
Écoutez, personne n'a dit qu'il était mauvais, mais il y a des règles et ces règles doivent être respectées. Il y a un décret qui est là, qui donne des pouvoirs à la Fédération camerounaise de football. Mais beaucoup plus loin, il y a les statuts de la FIFA, de la CAF et de la Fédération camerounaise de football qui donnent les pouvoirs au comité exécutif et à son président de choisir son sélectionneur sur la base du projet que nous avons présenté aux délégués. C'était ça le débat. Je ne rentre pas dans le jugement s'il est bon ou pas. Jamais je n'ai dit qu'il n'était pas bon, parce que je ne le connaissais pas. Donc je ne peux pas juger quelqu'un que je ne connais pas. Mais sur la base du projet que nous avons présenté aux délégués, il était bon qu'on aille jusqu'au bout de notre logique.
Nous avons voulu nationaliser le banc de touche, parce que nous nous sommes dits qu’on n'avait pas besoin d'aller chercher notre expertise ailleurs et nous avons connu beaucoup de problèmes avec les sélectionneurs étrangers qui venaient et qui traînaient tout le temps la Fédération camerounaise et l'État du Cameroun devant les tribunaux, où au final l'État se retrouvait en train de payer des sommes pas possibles. Nous nous sommes dits que nous allions donner l'opportunité aux Camerounais de bien faire le travail et je pense qu'au-delà des commentaires que nous pouvons avoir et de l'ambiance qui a été difficile, le sélectionneur Rigobert Song, dans des conditions particulières, a rempli sa mission. Il a qualifié le Cameroun in extremis à Blida. Il a qualifié le Cameroun pour la CAN. Nous avons eu une CAN difficile. Il a continué. Il a commencé les éliminatoires que le sélectionneur Marc Brys a continués. Il y avait déjà un résultat qui était là. Et c'était dans des conditions difficiles parce que c'est un Camerounais qui était à la tête de la sélection fanion. Ça, c'est la vérité. C'est parce que c'est un Camerounais. On estimait qu'on ne pouvait pas faire certaines choses, donc il fallait prendre quelqu'un d'autre. Je ne m'oppose pas à ça. Je dis juste qu’il faut qu'on respecte la loi parce que c'est la loi qui nous permet de vivre ensemble. C'est la loi qui nous permet de nous respecter et de nous mettre en face de nos responsabilités.
Aujourd'hui, le Cameroun gagne. Mais imaginez aussi si le Cameroun ne gagnait pas. Qui devrait être responsable de la situation ? Et je pense que c'est la question qu'on doit se poser. Et le président Biya, qui a été un visionnaire, a signé des décrets en mettant des gens face à leurs responsabilités. Pourquoi ? Parce qu'à la fin de la journée, il faudrait qu'on dise : « Monsieur le Président de la Fédération camerounaise de football, vous n'avez pas fait votre job », et que je devrais être sanctionné par ces délégués qui me donnent mandat de représenter le football camerounais. Quand on rentre dans une situation que peu de gens comprennent vraiment parce qu'on essaie de manipuler les uns et les autres, au final, qui est responsable ? C'est ça. Parce que les lois, le décret du chef de l'État, toutes ces choses n'ont pas été respectées. Mais personne n'a jamais dit que ce monsieur était bon ou pas. Du moins de mon côté, comme président de la Fédération camerounaise de football. Parce qu’avant son arrivée au Cameroun, je n'avais jamais entendu parler de ce monsieur. Et Dieu sait que je connais quand même le monde du football. Et je connais plusieurs grands entraîneurs qui ont gagné et qu'on connaît. Il est arrivé là, nous allons tout faire pour qu'il atteigne les objectifs que nous avons en commun.
Ces victoires sont les nôtres. Ses défaites aussi sont les nôtres. Parce qu'il ne faut pas oublier quelque chose. Les fédérations en Afrique, elles vivent grâce aux victoires des équipes fanion. Parce que quand vous êtes qualifiés à une CAN ou à la phase finale de la Coupe du monde, vous avez un « price money » qui vous permet de construire un stade, qui vous permet de construire un siège. On ne peut donc pas travailler contre nos propres objectifs ! Souvent, quand les gens disent « « Oh, mais la Fédération travaille contre nous »… Mais non ! Comment la Fédération peut travailler contre vous ? Parce que ceux qui bénéficient des victoires de la Fédération, les premiers sont ceux qui représentent directement la Fédération camerounaise de football. Donc nous faisons tout pour que tout marche bien dans des conditions particulières.
Depuis le mois d'avril, vous êtes donc opposé au ministre camerounais des Sports, Narcisse Mouelle Kombi. Mais celui-ci est soutenu par le très puissant secrétaire général de la présidence, Ferdinand Ngoh Ngoh. Est-ce que cet adversaire n'est pas trop fort pour vous ?
Christophe, je ne suis opposé à personne. J'ai défendu la légalité. C'est la seule chose que je défends. La légalité. Je ne me reconnais pas comme ayant des adversaires. Le ministre des Sports, c'est un aîné. Et j'ai eu l'occasion de le lui dire. Je défends la loi parce que c'est la loi qui permet au Cameroun de vivre ensemble. Et nous savons tous que le président Biya a porté ce vivre-ensemble. Il le met au-dessus de tout parce que, dès lors où on ne peut pas respecter la constitution, dès lors où on ne peut plus respecter le décret signé par le chef de l'État, il y a un problème. Mais vous êtes conscient que le jeune monsieur que je suis, je ne peux pas être celui qui ne respecte pas la volonté du chef de l'État. Le chef de l'État est le seul à faire la politique. Nous autres, à travers le football, nous avons le devoir d'accompagner, à notre petit niveau, la vision du chef de l'État et c'est la seule chose que nous faisons. Donc, si mon aîné, monsieur le ministre des Sports, prend une position que nous, à la Fédération, nous estimons qu'elle n'est pas dans la légalité, bien sûr que nous faisons savoir au ministre notre point de vue. Et je pense aussi qu'à son tour, s'il estime que la Fédération n'est pas dans la légalité… Mais il s'avère que nous le sommes toujours, parce que, malgré cette tentative, au final, nous avons toujours eu raison sur toutes ces choses. Pourquoi ? Parce qu'il faut qu'on apprenne à respecter ce qui est juste. Il faut qu'on apprenne à respecter les écrits, la loi, parce que les gens ne se rendent pas compte qu’en sortant de là, il n’y a plus d'État et puis il n’y a plus de respect.
Vous parlez politique et l'une des causes de vos ennuis, vous le savez bien, Samuel Eto'o, c'est qu’un certain nombre de Camerounais disent que vous avez des ambitions politiques et que vous visez un destin à la George Weah au Liberia. La prochaine présidentielle au Cameroun, c'est au mois d'octobre prochain. Est-ce que vous y pensez ?
Mais écoutez, Christophe, je pense que vous recevez pas mal d’hommes politiques et vous savez quand même que je ne peux pas me présenter à l'élection. Je vais prendre les députés où ? Je n’ai pas de parti. Et puis je crois, si mes souvenirs sont exacts, que ceux qui souhaitent se lancer dans cette élection sont connus. Et puis ils connaissent clairement ma position, celle que j'ai toujours affichée, celle de soutenir le président Biya. Et je ne change pas ma position. Mais la même préoccupation que certains, comme vous dites, ont eue, ils l’ont aussi eue au niveau de la CAF, ils l'ont aussi eue au niveau de la FIFA. Donc finalement, partout, je me retrouve dans des problèmes parce que les gens me prêtent des intentions. Mais jamais je ne me suis prononcé sur toutes ces choses.
Vous êtes un citoyen camerounais, Samuel Eto'o. Rien ne vous interdit un jour d'être candidat à une élection présidentielle…
Vous savez, généralement, je fais ce qui me rend heureux et je n'épouse pas les idées des autres. Et je ne veux pas être le mur où les autres se cachent en nourrissant leur projet. Et je ne suis pas quelqu'un qui ne dit pas ce qu'il pense. Je dis toujours ce que je pense et j'assume ce que je dis et je l'ai dit il y a quelques mois, je le redis encore clairement : Mon soutien, il est là, il n'a jamais changé et, comme vous le savez, chacun de nous se met derrière son champion pour des raisons qui lui sont propres. Et pour moi, ça ne changera pas. Je n'ai pas cette prétention ni cette volonté de me lancer dans une course politique. J'ai voulu devenir président de la Fédération camerounaise de football. Je suis allé chercher ce mandat de rupture et je suis en train de dérouler le projet que j'ai présenté aux délégués qui m'ont fait confiance, qui nous ont fait confiance.
« L'Afrique est le moteur de croissance du monde », affirme Serge Ekué, le président de la BOAD, la Banque Ouest-Africaine de Développement. Malgré les coups d'État de ces quatre dernières années, le grand banquier béninois reste donc très optimiste pour l'économie ouest-africaine. Mais est-il obligé d'emprunter à des taux d'intérêt plus élevés ? Et est-il déçu par le manque de solidarité internationale, notamment depuis la COP29 sur le climat ? En ligne de Lomé, où se trouve le siège de la BOAD, la Banque de développement des pays de l'UEMOA, Serge Ekué, qui préside également l'International Development Finance Club, L'IDFC, le club de 27 banques publiques de developpement, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Beaucoup d'Africains sont déçus par le résultat de la COP 29 sur le climat qui a débloqué quelque 300 milliards de dollars par an pour les pays du Sud à partir de 2035, alors qu'on en attendait le double. Est-ce que vous aussi vous êtes déçu ?
Serge Ekué : En réalité, la conférence a fixé un objectif beaucoup plus ambitieux. Donc c'est quand même pas mal et je rappelle que cet objectif est de passer à 1300 milliards par an, d'ici 2035. Il s'agit là de combiner à la fois les contributions des secteurs publics et privés, ce qui est une nouveauté. Alors vous savez, je suis plutôt de nature optimiste et considère que le verre est à moitié plein. Mais la reconnaissance de la position des pays du Sud par les pays de Nord, c'est un pas important. Il s'agit maintenant de passer aux actes et d'aller beaucoup plus vite.
Les pays du Nord refusent de donner plus si la Chine et les riches pays pétroliers du Golfe ne mettent pas aussi au pot. Et de fait, est ce que ces pays, qui sont devenus riches, ne sont pas devenus aussi de gros pollueurs et pourraient plus payer pour les pays du Sud ?
Certainement. Vous savez, notre sujet il n'est pas tellement là, dans les pays du Sud. Notre sujet, c'est que le monde reconnaisse que c'est nous qui payons le prix des changements climatiques, le prix fort et cette forme d'injustice doit cesser.
Parmi les futurs pays bénéficiaires de la finance-climat, est-ce que les pays les moins avancés ne risquent pas d'être les parents pauvres par rapport aux pays à revenu intermédiaire ?
C'est le risque et en définitive, l'injustice la plus forte ici, c'est que les plus faibles paient le prix le plus élevé. Malheureusement, c’est ainsi. Et vous voyez, le positionnement de la Banque ouest-africaine de développement est précisément de lutter contre cette injustice là en se dotant des meilleurs moyens techniques et financiers possibles pour aider à faire en sorte que le gap de financement qui est absolument abyssal, et je pèse mes mots, que ce gap se réduise le plus rapidement possible.
Donc, la Guinée-Bissau percevra moins que la Côte d'Ivoire ?
Oui, oui, certainement, mais notre sujet, vous savez, c’est l'article 1 des statuts de la Banque qui stipule que nous devons travailler au développement équilibré de notre zone. Équilibré. C'est à dire que nous devons travailler à faire en sorte que ce soit l'Union qui gagne et pas un pays contre un autre.
Et dans votre plan stratégique 2021-2025, ce que vous appelez « Joliba », est-ce qu'il y a un projet emblématique du côté des infrastructures en Afrique de l'Ouest ?
Oui, parce que le corridor en fait partie, hein ! Le corridor Lagos-Dakar, en passant par Abidjan et cetera. Voilà, c'est un des projets. Mais je rappelle aussi que nous travaillons à faire vivre la solidarité entre nous et nous travaillons beaucoup aux projets régionaux. Je demeure optimiste parce que notre Afrique, et surtout notre sous-région en Afrique de l'Ouest ici, est en forte croissance. Une population jeune, dynamique. Les taux de croissance sont bons, donc nous avons la faiblesse de penser que nous sommes le moteur de croissance du monde. Le monde est vieillissant. L'Afrique, et singulièrement notre Afrique, avec un âge médian autour de 20 ans, donc nous pensons que la force de travail, le moteur de croissance du monde, c’est en Afrique de l'Ouest. Ceci est incontestable.
Parmi les pays qui sont actionnaires dans votre banque, il y a le Mali, le Niger, le Burkina Faso. Est-ce que les coups d'État dans ces trois pays ont nui à votre image et ont affaibli votre notation internationale ?
Alors ce que je peux vous dire, c'est que, au bout de 4 ans, je suis président de cette institution depuis 4 ans, vous aurez noté que l'agence internationale Moody vient de confirmer notre note B 2A 1 et vient de l'assortir d'une perspective stable. Nous avions une perspective négative et nous venons de passer à une perspective stable. Ce qui veut dire que notre structure, notre banque, a fait preuve de résilience, comme on dit en français moderne. Et réussit grâce à ses capacités, grâce à son énergie, grâce au leadership de ses dirigeants. Elle arrive à sortir son épingle du jeu. Bon, la tâche n'est pas facile, mais ça ne marche pas trop mal.
Donc, vous n'êtes pas obligé d'emprunter à un taux d'intérêt supérieur à ce qu'il était auparavant ?
Tout le monde emprunte à un taux supérieur. Mais la Banque est agile et nous savons nous adapter.
Suite aux dernières tensions entre la Cédéao et les trois pays de l'Alliance des États du Sahel, est-ce que votre banque poursuit comme avant ses projets de développement au Mali, au Niger, au Burkina Faso, ou est-ce qu'elle est obligée de les réviser à la baisse ?
Les pays que vous mentionnez sont actionnaires. Alors bien évidemment, on fait très attention. On est prudent dans la façon avec laquelle nous travaillons. Mais je vous le disais, notre Union est solide. L'Union économique et monétaire ouest-africaine est solide. Nous avons, je le rappelle, besoin de stabilité et vous savez, « l'argent n'aime pas le bruit », dit-on. Je suis assez d'accord avec cet adage.
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C'était il y a un an, jour pour jour. Le 18 décembre 2023, à minuit cinq, le plus grand dépôt de carburant de Guinée explosait sur la presqu'île de Kaloum, à Conakry. Plus de 20 morts et plusieurs milliers de sinistrés. À l'époque, une enquête judiciaire a été ouverte « pour incendie volontaire ». Un an après, où en sont les investigations ? Et que sont devenues les milliers de personnes dont les maisons ont été soufflées ? Mamoudou Cifo Kétouré est enseignant et préside sur place le Comité des sinistrés des hydrocarbures de Kaloum. En ligne de Conakry, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Un an après, est-ce qu'on connaît les causes de la catastrophe ?
Mamoudou Cifo Kétouré : Non, aucune idée. Parce que nous n'avons reçu aucun enquêteur. Nous ne connaissons pas les résultats de l'enquête, et pire, nous n'avons même pas reçu les condoléances d'usage.
Alors, suite à la catastrophe, une enquête judiciaire a été ouverte, «pour des faits présumés d'incendie volontaire». Est-ce à dire que ce n'est pas un simple accident ?
Oui, c'est le gouvernement qui a été le premier à alerter pour parler de présumé incendie criminel. Et c'est lui qui a les moyens de la police, des enquêteurs pour faire connaître la vérité dans cette affaire. Parce qu’il s'agit de dizaines d'âmes perdues et brûlées dans le feu, un feu qui les consumait pendant une semaine. Il s'agit du plus grave incendie de notre pays, de notre histoire. Cela ne peut pas passer inaperçu.
Alors certains évoquent l'hypothèse de voleurs de carburant qui se seraient introduits sur le site, qui auraient manipulé un objet…
Nous ne pouvons pas croire à cela.
Et qui auraient provoqué l'explosion…
Nous ne pouvons pas croire à cela, surtout qu'il y a eu une réelle volonté de spoliation de nos biens. Tout ce qu'on nous a dit dans cette affaire-là, « tenez, voici des sacs de riz, acceptez que vous soyez relogés à 50 kilomètres de Conakry, de Kaloum, vous allez quitter la capitale », c'est un plan de recasement que nous avons refusé. Nous disons non.
Alors, à la suite de cette catastrophe, on se souvient, il y a eu des messages venus du monde entier, de l'ONU, de l'Union africaine, du pape, de l'Union européenne. Est-ce que, grâce à cette mobilisation, les sinistrés ont pu être secourus ?
Nous saluons cette mobilisation internationale. Il y a un nombre important de ménages qui ont reçu des sacs de riz. Ça, ça a été un apport important pour nous. Mais nous avons voulu recevoir aussi les feuilles de tôles, les sacs de ciment qui ont été offerts par les mêmes personnes et ce sont les mêmes autorités qui les ont reçues. Jusqu'à ce jour, un an après, nous n'avons pas reçu une feuille de tôle, et un seul sac de ciment. Rien. Ces sacs de ciment, ces feuilles de tôles, ils ont totalement disparu. Pour aller où ? Mais pire, il y a une volonté de spoliation de nos biens, parce que les sommes d'argent qui ont été reçues comme don, en remettant ça aux locataires, on leur dit que c'est pour aller trouver des maisons ailleurs. Nous ne vendrons pas nos terrains ! Il s’agit de biens qui nous appartiennent et nous ne sommes pas sur un domaine de l'Etat.
Alors, le 27 mai dernier, le Premier ministre Bah Oury a annoncé 860 000 € pour les sinistrés, avec notamment une enveloppe de 2 millions de francs guinéens pour chacun des 55 propriétaires et une enveloppe d'un million de francs guinéens pour chacun des 322 locataires. Est-ce que ce n'est tout de même pas un geste concret ?
Nous savons qu'il y a eu quelques sommes qui ont été remises à quelques personnes. Mais je dis que la commission qui gère, elle gère dans une opacité sans pareille. Il n'y a pas de communication : qui a reçu ? Qui a donné ? L'argent vient de qui ? Mais pourquoi vous nous parlez toujours de libérer ces constructions pour que vous veniez faire quelques constructions ? Nous disons non. Il y a une volonté de spoliation de nos biens.
C’est-à-dire que vous acceptez les indemnisations, mais vous n'acceptez pas de déménager et de quitter la Presqu'île de Kaloum pour aller en banlieue. C'est ça ?
Nous acceptons l'indemnisation, ça on est d'accord, mais nous ne quitterons pas, parce que ce n'est pas un domaine de l'État, voilà.
Parce que la Presqu'île de Kaloum, elle est au cœur du quartier de l'administration, qui abrite notamment la présidence et la plupart des ministères. Et vous soupçonnez certains de vouloir vous faire déménager en banlieue pour pouvoir récupérer vos terrains qui sont évidemment très convoités, c’est ça ?
Mais cela se confirme aujourd'hui, parce qu'en lieu et place d'enquêtes, on nous parle toujours de recasement, de relogement. Alors, à partir de là, chacun peut tirer sa conclusion.
Vous voulez reconstruire vos maisons ?
Oui, nous-mêmes, par les apports qui sont venus, c'est-à-dire ces feuilles de tôle, ces ciments et les montants qui les ont accompagnés, vous devez nous les donner. Pourquoi nous tenons à ce point-là ? Parce que, si nous ne sommes pas indemnisés, s'il n'y a pas d'enquête, il y a risque de récidive. Vous savez, la Presqu'île de Kaloum, c'est quand même l'endroit le plus convoité du pays.
Parce que c'est là que se trouve la présidence ?
Mais c'est ici que les terrains coûtent le plus cher. Nous, nous sommes les autochtones d’ici. Voilà.
Voulez-vous dire que l'objectif des gens qui ont fait exploser ce dépôt de carburant, c'était peut-être de vous chasser du quartier ?
S'il n'y a pas d'enquête, chacun sera amené à tirer sa conclusion. Mais nous pouvons quand même avouer que nous n'avons pas été traités dignement. Ce qui amène à des interrogations quand même, à se demander le pourquoi de cette situation.
Pensez-vous à des criminels qui voulaient détruire le quartier pour pouvoir ensuite récupérer le terrain ?
Nous attendons les résultats de l'enquête.
Mais vous pensez que c'est une hypothèse sérieuse ?
Oui, à ne pas négliger. Surtout que c'est un l’État qui a communiqué en disant qu'il s'agissait d'un présumé incendie criminel. Tout ce que nous pouvons demander au gouvernement, c'est de faciliter l'enquête. Tant qu’il n'y aura pas de transparence, nous ne participerons pas à un débat, à une discussion sur le relogement sur nos maisons.
En Afrique de l'Ouest, va-t-on vers un « divorce à l'amiable » entre une Cédéao à douze pays et une Alliance des États du Sahel, qui regroupera les trois autres ? Dimanche dernier à Abuja, les douze pays qui restent attachés à la Cédéao ont proposé six mois de réflexion supplémentaires aux trois pays, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, qui veulent quitter l'organisation sous-régionale. Ces trois pays pourraient-ils revenir d'ici le 29 juillet prochain dans la maison Cédéao ? Gilles Yabi est le fondateur de Wathi, le think tank citoyen d'Afrique de l'Ouest. En ligne de Dakar, il répond à Christophe Boisbouvier.
RFI : Les chefs d'État de la Cédéao espèrent encore ramener les trois États de l’AES dans leur organisation d'ici le 29 juillet prochain. Est-ce qu'ils ont une chance d'y arriver ?
Gilles Yabi : Je pense que les chances restent limitées. L’intérêt politique des trois dirigeants des pays du Sahel est de rester cohérent depuis qu'ils ont pris cette décision. Et donc, on voit mal un changement de position, en tout cas pour ces trois pays, le Mali, le Niger, le Burkina Faso. Je rappelle que cette décision a été prise sans consultation des populations. Elle a été prise par les dirigeants de ces trois pays arrivés par coup d'État. Donc, en cas de séparation, ce qui reste l'hypothèse la plus probable, c’est qu'on s’oriente plutôt vers un « divorce à l'amiable ». Maintenant, on ne peut rien exclure. Évidemment, les efforts diplomatiques du président sénégalais et du président togolais pourraient toujours finir par faire changer leur avis, mais je n'y crois pas beaucoup.
Vendredi dernier, les trois pays de l’AES ont déclaré que leur départ de la Cédéao était irréversible. Quel est pour eux l'avantage de quitter la Cédéao ?
C'est le fait de se soustraire à des obligations liées au protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de la Cédéao. Donc, de ne pas être lié, par exemple, à l'obligation d'organiser à un moment donné des élections. Peut-être même [de ne pas être lié] au principe qui avait été instauré par l'Union africaine, à savoir que les chefs d'État qui arrivent par coup d'État militaire, même si ceux-là se maintiennent pendant la transition, ne soient pas autorisés à se présenter au terme de ces transitions. Donc, en sortant de la Cédéao, ils se libèrent de toutes les obligations, de tous les principes qui sont censés gouverner l'espace de la région.
Les trois pays de l’AES quittent la Cédéao. Mais, en même temps, ils se disent prêts à maintenir sur leur territoire une exemption de visa pour les ressortissants de la Cédéao. Pourquoi ce geste ?
Je crois qu'il s'agit de montrer d'une certaine manière qu'ils ne sont pas dans une approche de rupture brutale avec les autres pays de la communauté. Et peut-être de manière aussi très pragmatique, je pense que les dirigeants de ces trois États sont tout à fait conscients de l'importance des relations économiques avec les pays voisins côtiers. Ils connaissent les chiffres des flux migratoires entre leur pays et les pays voisins. Lorsqu'on regarde les corridors les plus importants, on va voir les corridors Burkina Faso - Côte d'Ivoire ou Mali - Côte d'Ivoire par exemple, qui sont très importants. Donc, ça veut dire que vous avez énormément de populations sahéliennes qui vivent dans ces pays, en particulier la Côte d'Ivoire, mais aussi le Sénégal. Et donc, le fait de décider qu’il y aura une exemption de visa pour les ressortissants des pays membres de la Cédéao est une manière d'amener la Cédéao à décider de maintenir une exemption de visa pour les populations sahéliennes.
Est-ce que, par exemple, les autorités ivoiriennes vont être prêtes à accorder cette réciprocité, cette exemption de visa, aux quelque six millions de Maliens et de Burkinabè qui vivent sur le territoire ivoirien ?
On ne doit pas perdre de vue les enjeux les plus importants qui concernent les populations. De mon point de vue, je pense que la Côte d'Ivoire et d'autres pays de la Cédéao ne vont pas décider d'appliquer des visas simplement parce qu'à nouveau les relations sont difficiles et parce que les États du Sahel se seraient retirés de la Cédéao.
Ce que demandent les trois pays de l’AES, est-ce que ce n'est pas une Cédéao à la carte ? Une Cédéao dont ils garderaient les avantages économiques tout en se débarrassant des inconvénients politiques ?
Alors c'est vrai que, derrière la question de la sortie des pays de l'AES, se pose aussi la question du choix de continuer à croire en un idéal d'intégration politique avec des valeurs, avec des principes de convergence constitutionnelle. Cela est vraiment tout ce qui a été consigné dans le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance de 2001. Et, aujourd'hui, très clairement, on a une partie des dirigeants de la région qui ne croient pas vraiment à la mission d'intégration politique. Le risque est de dire que, pour faire revenir ces États ou pour s'assurer que d'autres ne vont pas partir, on va renoncer aux dispositions du protocole additionnel de la démocratie et de la bonne gouvernance. Et, de mon point de vue, ce serait évidemment extrêmement dangereux parce qu’au fond, on risque d'avoir le retour à des régimes autoritaires où chaque dirigeant fera ce qu'il veut dans son pays. Et ça, on l'a déjà connu par le passé.
La Libye du maréchal Haftar sort-elle renforcée après la chute du régime Assad en Syrie ? C’est la question qui se pose, au vu du risque pour les Russes de perdre leurs bases militaires en Syrie. Y aura-t-il bientôt une base navale russe à Tobrouk ? Le grand spécialiste de la Libye Wolfram Lacher est chercheur à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité. RFI lui a d’abord demandé si, après la perte de leur allié syrien, les Russes n’allaient pas se tourner encore plus vers le maréchal Haftar.
RFI : Wolfram Lacher, si les Russes perdent leur point d'appui en Syrie, est-ce qu'ils ne vont pas se tourner encore davantage vers la Libye du maréchal Haftar ?
Wolfram Lacher : Ils vont sans doute l'essayer, mais est-ce qu'ils vont le pouvoir ? Est-ce que Haftar permettra aux Russes de renforcer leur présence en Libye ? C'est une question, parce qu’on voit à travers les années dernières que Haftar a toujours cherché à jongler entre plusieurs partenaires étrangers et à ne jamais se rendre dépendant exclusivement d'un État.
Dans le territoire libyen contrôlé par le maréchal Haftar, les Russes auraient des facilités sur quatre bases aériennes : al-Qadeer, al-Joufra, Ghardabiya et Brak ak-Shati. Mais est-ce que les avions gros porteurs russes peuvent atteindre la Libye sans faire escale sur la route pour faire le plein ?
Cela dépend sans doute des espaces aériens qu'ils peuvent traverser. Or, on a constaté cette dernière année qu'ils peuvent traverser l'espace aérien turc, par exemple. Mais c'est très possible, si la Russie perdait la base aérienne en Syrie, que ça compliquerait la logistique, le ravitaillement pour la présence russe en Libye et plus au sud en Afrique.
Du côté des navires de combat, si les Russes perdent leur base navale de Tartous en Syrie, est-ce qu'ils pourront replier leurs bateaux dans un port libyen ?
Alors les Russes cherchent depuis plusieurs années déjà à établir une base navale à l'est de la Libye. Pour l'instant, Haftar et ses fils n'ont jamais accédé à cette requête parce qu'ils savent que cela pourrait rompre leurs relations avec les puissances occidentales. Or, la situation actuelle où et la Russie et les États-Unis et d'autres pays de la région - donc les Émirats arabes unis, les Égyptiens, tout le monde - essayent de maintenir des bonnes relations avec Haftar, c'est une situation très confortable pour Haftar et donc je pense que, pour Haftar, il n'y aurait aucune nécessité de maintenant offrir le territoire libyen aux Russes et de se rendre dépendant de manière exclusive du soutien russe et de couper ses relations avec les pays occidentaux.
Apparemment, le maréchal Haftar et Vladimir Poutine s'entendent bien. Ils se sont vus à Moscou en septembre dernier. Mais est-ce que le maréchal libyen est un allié aussi fiable que l'était le dictateur syrien Bachar el-Assad ?
Il n'est peut-être pas fiable dans le sens où il suit les directives qu'on essaierait de lui donner, mais Haftar a besoin de cette présence militaire russe parce que la fonction de protection contre d'éventuelles attaques, d'éventuelles offensives de la part des forces en Tripolitaine, cette fonction de protection qu’a la présence militaire russe, c'est difficile de voir une autre puissance étrangère la remplacer pour Haftar. Donc, c'est pour ça que la relation entre Haftar et la Russie est une relation qui est bénéfique mutuellement. Les deux ont besoin de maintenir cette relation.
Depuis six mois, le maréchal Haftar, qui est âgé de 81 ans, prépare sa succession. Il met en avant l'un de ses fils, Saddam. En juin dernier, quand Saddam Haftar est allé à Ndjamena, le président tchadien lui a demandé de mettre sous cloche les rebelles tchadiens du Fact, dont la dernière offensive en 2021 avait coûté la vie à Idriss Déby. Est-ce que vous pensez que le clan Haftar a donné suite à la requête du régime tchadien ?
Oui, effectivement. Depuis environ deux ans, il y a une coopération assez étroite. Il y a eu des arrestations de chefs rebelles, y compris au sein du Fact, qui ont été livrés au régime tchadien. Et à ma connaissance, le Fact n'a plus de présence en tant que force, en territoire libyen, en ce moment.
Et le Fact aujourd'hui n'est plus en mesure de lancer une nouvelle offensive comme en avril 2021 ?
Aujourd'hui, je crois qu'il n'y a pas de forces rebelles tchadiennes en territoire libyen qui soient en mesure de lancer une offensive semblable. Par contre, il faudra voir si, avec le fait que la France retire ses forces du Tchad, ce n'est pas un facteur qui pourrait conduire à une nouvelle mobilisation de rebelles tchadiens qui pourraient donc organiser de nouveaux groupes, que ce soit au Darfour ou ailleurs dans les pays avoisinants du Tchad.
Notre grand invité Afrique ce samedi est romancier, journaliste et réalisateur malien. Originaire de Tombouctou, Intagrist el Ansari est issu de la tribu touareg Kel Ansar, réputée pour ses connaissances mystiques et la valeur de ses combattants. Depuis une douzaine d'années, il est installé à Nouakchott, en Mauritanie. À partir d'aujourd'hui, son film « Ressacs, une histoire touarègue » est diffusé pour la première fois dans le cadre des Journées cinématographiques de Carthage, à Tunis. Il aura fallu une dizaine d'années de tournage à Intagrist el Ansari pour remonter le fil et l'histoire du peuple touareg. Son film commence par une lettre adressée à son propre fils : « Cher fils, l’image que tu viens de voir de moi a été tournée au camp de Mbera. J’avais quatorze ans à l’époque ».
En Guinée, Amnesty International dénonce « le silence actuel du gouvernement » sur la bousculade meurtrière du 2 décembre dans le stade de football de Nzérékoré et réclame une « enquête indépendante et impartiale » sur ce drame qui a fait plusieurs dizaines de morts : 56 selon les autorités, 135 selon les organisations locales. Tout est parti d'un match de foot organisé en l'honneur du chef du régime militaire de transition, le général Mamadi Doumbouya. Y a-t-il trop de politique dans le sport ? Oui, répond l'ex-footballeur camerounais Joseph-Antoine Bell, qui est consultant de RFI. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : Le drame de Nzérékoré, au moins 56 morts à la fin d'un match de football, qu'est-ce que ça vous inspire ?
Joseph-Antoine Bell : On ne va pas au foot pour mourir. Donc, c'est forcément bien qualifié de drame, mais c'est véritablement triste.
Et une personnalité en tribune qui fait annuler la décision de l'arbitre. Est-ce que vous avez déjà vu ça dans votre carrière ?
Oui, malheureusement, venant toujours de personnes du même type. De toute façon, c'est quelque chose qu'on ne voit presque jamais. La première des choses qu'on apprend lorsqu'on joue au foot ou lorsqu'on le regarde, c'est que les décisions de l'arbitre sont souveraines. Personne n'a le pouvoir de descendre sur le terrain pour décider à la place de l'arbitre.
Dans une interview à RFI la semaine dernière, le Premier ministre guinéen Bah Oury a reconnu qu’il y avait eu « de l'improvisation et de l'impréparation de la part des organisateurs du match de Nzérékoré ». Est-ce à dire que ceux-ci ne connaissaient rien au football ?
Mais déjà, ça m'aurait étonné que le Premier ministre, qui est un homme intègre, que je connais, ne dise pas la vérité. Ce qu'il dit là, c’est la pure vérité. Pour que ça se passe ainsi, c'est que ceux qui ont organisé, ce n'est peut-être pas qu'ils ne connaissent rien, mais, ils ne se préoccupaient pas du foot. Ils se préoccupaient plus d'autre chose que de football.
Et quand il y a des dizaines de milliers de spectateurs, on n'improvise pas l'organisation d’un match ?
Non. À chaque événement, vous prenez des spécialistes de cette organisation-là ! C'est pour ça qu'on pense que les fédérations sont outillées, pour organiser, par ce qu’elles ont l'habitude. Et si vous évitez la fédération, vous devez prendre des gens qui leur ressemblent. Par exemple, vous arbitrez un match de village, mais avec un arbitre à la retraite. Mais pas avec un arbitre improvisé, donc là apparemment rien n'était bon. Comment peut-on amasser des gens dans un stade qui a une seule sortie ? Et comment peut-on avoir lancé des lacrymogènes dans une foule qui est dans un endroit où il n’y a pas moyen de fuir ces gaz lacrymogènes qui vous piquent.
À l'origine du drame de Nzérékoré, il y avait donc un tournoi au terme duquel les organisateurs devaient remettre au vainqueur le trophée Mamadi Doumbouya, du nom du président du régime de transition. Est-ce qu'ici le football n'a pas été instrumentalisé à des fins politiques ?
Oui, et c'est là le problème. C'est qu’ils avaient pour objectif la politique et ils ont oublié le moyen qui était le foot. S'ils avaient mis des spécialistes du foot, le résultat serait le même pour eux. C'est à dire, on a la récupération et puis voilà ! Il n'est pas interdit de faire ça, mais il est interdit de mal faire. Mais le problème avec ces gens-là, c’est qu’ils disent toujours travailler pour le chef de l'État, et ils décrètent qu'ils ont toutes les compétences.
Y'a-t-il trop de politique dans le football, Joseph-Antoine Bell ?
Oui, parce que ça se rejoint. La politique a besoin de public et le football a une grande popularité, donc draine beaucoup de public. Et donc c'est presque logique que la politique fasse un saut pour récupérer le football puisque la popularité du foot en fait une proie facile.
Mais la séparation des pouvoirs, le président de la République d'un côté, les instances de football de l'autre, est-ce que c'est possible ou est-ce que c'est un vœu pieux qui n'arrivera jamais ?
Je pense que, au lieu de parler de séparation des pouvoirs, il faudrait parler de collaboration. Donc le pouvoir a besoin du sport, le sport a besoin du pouvoir aussi, mais il faudrait que ce ne soit pas les mêmes qui s'occupent de tout. Sauf que les politiques, eux, ont du pouvoir et que ce pouvoir-là, il est très tentant de se l'arroger pour tout et de décréter qu'on peut tout, qu'on sait tout.
Alors, à la suite de ce drame, plusieurs organisations internationales ont réagi, notamment la Cédéao. Mais on n'a pas entendu la CAF, la Confédération africaine de football.
Précisément parce qu’aucune association de la Confédération africaine de football n'était concernée. Et là, il n'y avait pas d'arbitre de la CAF ou de la Fifa dedans, il n’y avait aucun officiel CAF ou Fifa.
Mais vous n'attendez pas de la CAF un coup de gueule après ce drame ?
Pourquoi la CAF viendrait-elle pousser un coup de gueule en Guinée, si la Fédération guinéenne ne pousse pas d'abord de coup de gueule ? Donc je pense que ce sont plutôt ceux qui, en pratiquant ce sport en dehors de ceux qui en connaissent les règles et l'organisation, doivent apprendre la leçon et retenir que désormais, pour organiser quelque chose, ils associeront la Fédération guinéenne de football.
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La chute du régime Assad en Syrie va-t-elle peser sur la stratégie russe en Afrique ? C'est la grande question qui se pose depuis dimanche en Afrique, notamment dans les pays alliés de la Russie comme la Centrafrique et les trois pays de l'Alliance des États du Sahel. La perte éventuelle des bases militaires russes en Syrie va-t-elle impacter le rayonnement stratégique de Moscou ? Et y a-t-il des bases de rechange pour les Russes ? Analyse du général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, au micro de RFI.
RFI : En quoi les bases russes de Syrie sont-elles importantes pour les stratèges russes qui opèrent en Afrique ?
Jérôme Pellistrandi : Alors, ces bases, il faut souligner qu'il y a donc à la fois des bases navales, donc en Méditerranée orientale, ce qui est extrêmement important pour Moscou, parce que Moscou, vous savez, ne dispose pas de cet accès aux mers chaudes. Il faut passer par le Bosphore et par la mer Noire, et donc les bases navales permettaient aux Russes de sillonner la Méditerranée, d'aller éventuellement en mer Rouge. Et donc c'était un point stratégique majeur. Et Moscou disposait aussi de bases aériennes en Syrie, qui lui permettaient d'être à la fois un acteur important dans la région, mais également d'être sur la voie vers l'Afrique, en particulier vers le Sahel. Donc, ces bases aériennes étaient très importantes dans la logistique russe et permettaient en fait aux Russes d'avoir ce point d'appui qui leur permettait de rayonner sur le Proche et Moyen-Orient et sur l'Afrique.
Est-ce que les gros porteurs russes, les Antonov, les Iliouchine peuvent aller directement de Russie à Bangui ou à Bamako, ou est-ce qu'ils doivent faire une escale sur la route ?
C'est loin pour les gros porteurs russes pour effectivement aller jusque Bamako ou à Niamey. Ces bases aériennes en Syrie permettaient en quelque sorte d'avoir une allonge supplémentaire vers l'Afrique, que ce soit par exemple le Soudan, que ça soit le Tchad, le Niger ou le Mali.
Alors ce que vous appelez une allonge, c'est la possibilité pour les avions gros porteurs russes de ravitailler sur leurs bases de Syrie, c'est ça ?
Oui, par exemple, c’étaient vraiment des plateformes extrêmement utiles qui permettaient de stocker du matériel, donc des plateformes on va dire multi usages pour l'armée russe. Et qui permettaient aussi aux militaires russes en quelque sorte de s'entraîner sur des populations civiles qui étaient à leur merci.
Alors aujourd'hui, est-ce que vous pensez que les Russes vont être en mesure de conserver leur base navale de Tartous et leur base aérienne de Hmeimim ?
C'est une question qui est sur la table. Est-ce que les nouvelles autorités syriennes accepteront moyennant contrepartie ? Au mieux, je pense que les Russes pourraient conserver la base navale parce que, sans cette base navale, ils ne peuvent plus être présents en Méditerranée orientale.
Alors évidemment, les stratèges russes réfléchissent à des bases de repli. À quelles bases peuvent-ils penser ?
Très sincèrement, il n'y a pas beaucoup de possibilités en dehors de la Libye. Donc la partie du maréchal Khalifa Haftar à l'Est, il y a bien sûr l'Algérie. Mais est-ce que l'Algérie voudra avoir une présence permanente de la Russie ? Donc on voit bien que l'échiquier stratégique russe dans cette partie du monde est en train de changer brutalement, sans pour autant que les Russes aient toutes les cartes en main.
On peut donc imaginer une base navale russe à Tobrouk et une base aérienne russe à Benghazi, chez le maréchal Haftar ?
Éventuellement. La seule chose, c'est que le maréchal Haftar est quelqu'un qui joue aussi sur tous les tableaux. Certes, il bénéficie de l'appui des Russes, mais il a aussi besoin que les Occidentaux, je pense aux États-Unis, la France, voire l'Égypte, le laissent tranquille. Et donc pour Moscou, le grand plan, qui consiste à se rapprocher des mers chaudes, est totalement remis en cause avec l'effondrement du régime de Bachar el-Assad.
Alors il y a les conséquences stratégiques de la chute du régime Assad. Il y a aussi l'impact politique sur les alliés africains de la Russie. Quel peut être cet impact, ne serait-ce que d’un point de vue psychologique ?
Ah ben, je pense que, sur le plan psychologique, certains membres des juntes doivent se poser des questions quant au soutien russe. Puisque on le voit bien dans le cadre de ce qui s'est passé en Syrie, la seule solution qu'a pu apporter Moscou, c'est l'exfiltration de la famille de Bachar el-Assad. Donc, on peut supposer que les juntes, qui ont un ton très agressif contre l'Occident, et je pense notamment contre la France, vont peut-être mettre, excusez-moi de l'expression, de l'eau dans leur vin, parce qu’on voit bien que Moscou n'est pas capable en fait de gérer plusieurs guerres simultanément. L’Ukraine accapare l'essentiel des capacités militaires de la Russie. Et donc il n'est pas dit que Moscou soit prêt à envoyer des centaines de mercenaires de ce qui était Wagner pour soutenir ces juntes. Donc, il risque d'y avoir une attitude plus prudente des juntes, parce que le soutien de Moscou, visiblement, il n'est plus du tout inconditionnel. Donc, on risque d'avoir beaucoup de nouvelles surprises en 2025 au Sahel avec peut-être des mouvements de rébellion qui vont profiter de l'occasion. Donc, il faut rester très vigilant sur ce qui va se passer au Sahel, dans les mois à venir.
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Au Niger, voilà une semaine que Moussa Tchangari, le secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens, est en prison. Et l’arrestation de cette figure de la société civile suscite une grande émotion dans le monde entier. Cette semaine, la FIDH, Amnesty International, Human Rights Watch et l’Organisation mondiale contre la Torture lancent un appel commun pour sa libération. Maître Drissa Traoré est le secrétaire général de la FIDH, la Fédération Internationale pour les Droits Humains. En ligne d’Abidjan, il répond aux questions de RFI.
RFI : Une initiative commune de vos 4 ONG, c'est plutôt rare, pourquoi cette mobilisation ?
Maître Drissa Traoré : Nous avons estimé que la situation est extrêmement grave et que nous devons unir nos forces pour qu'ensemble, notre voix puisse être entendue. Et cette arrestation de Moussa Tchangari montre en réalité que les autorités du Niger veulent montrer du muscle, montrer à la société civile qu'il ne doit pas y avoir des voix discordantes. Donc pour nous, c'est un moment important de se rassembler pour que la société civile, les journalistes, les défenseurs des Droits de l'homme aient voix au chapitre dans cette situation particulière, que connait le Niger, dont nous souhaitons le plus rapidement qu'il puisse s'en sortir ?
Selon son avocat, Moussa Tchangari serait poursuivi pour apologie du terrorisme, atteinte à la sûreté de l'État et association de malfaiteurs en lien avec le terrorisme, pourquoi des accusations si graves ?
Surtout pour faire mal, pour faire mal à Moussa Tchangari. Mais aussi pour montrer l'exemple. Pour dire que toute voix qui va s'élever à l'encontre des discours des autorités sera matée de la manière la plus sévère. Et ce sont des accusations qui pourraient permettre de faire de Moussa Tchangari un apatride dans son propre pays.
Un apatride à qui on pourrait retirer sa nationalité ?
Absolument.
Alors, du temps du président Issoufou comme aujourd'hui, Moussa Tchangari a toujours dit ce qu'il pense. Et après le putsch de juillet 2023, il a exprimé publiquement son soutien total au président déchu Mohamed Bazoum. Est-ce pour cela qu'il a été arrêté 16 mois après le putsch ?
Nous pensons que Moussa Tchangari a été arrêté parce qu'il a toujours été constant. Dans sa lutte pour les libertés, dans sa lutte pour la démocratie, parce que, quels que soient les régimes qui s'échangeaient, qui traversent le Niger, Moussa Tchangari a toujours été constant aux côtés des victimes, aux côtés des défenseurs des Droits de l'homme. Lui-même, Il a porté la voix et aujourd'hui, en réalité, il paye son engagement, il paye sa droiture, il paye le fait qu'il ne veut pas se compromettre avec les autorités qui sont au pouvoir au Niger.
Alors, récemment Moussa Tchangari a critiqué deux initiatives du pouvoir militaire, le retrait provisoire de la nationalité nigérienne à 9 proches de Mohamed Bazoum et le retrait des licences de 2 ONGs humanitaires, est-ce que ce serait une raison qui pourrait expliquer son arrestation ?
Nous pensons que ces propos de Moussa Tchangari, son engagement, qu'il a exprimés ouvertement, font partie des éléments pour lesquels il a été arrêté et qu'on veut le faire taire. Parce que, en réalité, aujourd'hui, les autorités nigériennes ne veulent plus entendre de voix discordantes. Et on le remarque. Les défenseurs des Droits de l’homme ont peur. Ils sont obligés de se murer dans le silence. Ils sont obligés de ne plus parler. Seul Moussa Tchangari et quelques autres osent encore parler. Donc, il faut les faire taire et malheureusement ils sont en train d'y arriver. Mais nous, acteurs de Droits de l'homme, la FIDH, Human Wright Watch, Amnesty International, OMCT, nous disons Non. Nous serons toujours debout pour que les libertés puissent avoir droit au chapitre, quelles que soient les situations qu'un pays peut traverser.
Le prisonnier le plus célèbre au Niger aujourd'hui, c'est bien sûr Mohamed Bazoum, son épouse est également détenue. Combien de personnes proches du président déchu sont actuellement en prison au Niger ?
Nous n'avons pas le nombre exact, mais c'est une trentaine de personnes qui sont détenues. Et Mohamed Bazoum est quasiment otage et donc nous pensons que ce sont des faits qui ne sont pas acceptables. Et donc l'entourage de Mohamed Bazoum, beaucoup de ministres de son gouvernement qui a été déchu, sont en prison sans qu'une procédure légale, sans qu'une procédure respectueuse des Droits humains, sans qu'une procédure respectueuse des droits de la défense ne soit en cours. Nous estimons que ce sont vraiment les Droits de l'homme qui sont niés dans ce pays aujourd'hui.
Alors parmi ces détenus, il y a en effet plusieurs anciens ministres du président Bazoum, et notamment l'ancien ministre de l'Énergie Ibrahim Yacouba, qui était à l'étranger au moment du putsch et qui est revenu volontairement dans son pays au début de cette année, mal lui en a pris. Pourquoi cet acharnement contre ce Nigérien qui est revenu volontairement chez lui ?
C'est un acharnement contre toute personne qui pourrait éventuellement faire ombrage aux autorités actuellement en place. Il n'y a pas du tout de voie au dialogue aujourd'hui. Mais nous espérons fortement que les autorités du Niger vont accepter d'ouvrir le dialogue avec nous, avec l'ensemble des défenseurs des droits humains, avec les acteurs de la société civile. Pour qu'ensemble, on puisse aider à l'édification d’un Niger respectueux des Droits de l'homme, d'un Niger État de droit, d'un Niger qui revient à la démocratie, aux règles de droit. Nous, c'est notre souhait le plus ardent et nous espérons que notre appel sera entendu.
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