Lignes de défense

Dans un système globalisé, où les menaces prennent des formes de plus en plus variées, la chronique d'Olivier Fourt vous plonge chaque semaine, au cœur des enjeux et des problématiques de défense et de sécurité du XXIème siècle. Les acteurs d’un monde militaire en mutation et les meilleurs observateurs des questions de Défense répondent à Olivier Fourt tous les dimanches matins dans sa chronique. Retrouvez les sujets traités par cette émission sur RFI SAVOIRS = http://savoirs.rfi.fr/

  • 4 minutes 15 seconds
    La Marine nationale veut gagner la guerre acoustique

    L'Intelligence artificielle s'invite dans tous les segments du combat moderne : notamment pour une meilleure lecture du champ de bataille et désormais l'IA s'impose aussi sous l'eau... La Marine nationale les appelle les oreilles d'or, ce sont les analystes capables d'identifier les sons captés sous la surface de la mer, l'IA va bouleverser leur métier, l'objectif : aller vite pour gagner la guerre acoustique.

    Tac tac tac tac tac tac... Ce son régulier, c'est le bruit d'un pétrolier tel qu'on l'entend sous l'eau, un bruit caractéristique. L'oreille d'or d'un sous-marin pourrait dire que l'hélice de ce navire est composée de cinq pales et que sa ligne d'arbre tourne à 120 tours/minutes. Des informations cruciales pour la Marine de guerre, en particulier pour la sous-marinade, souligne le capitaine de frégate Vincent Magnan, commandant du centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique, le Cira à Toulon.

    « Il se passe énormément de choses sous le dioptre, comme on dit dans notre milieu. Pour vous donner des exemples très précis, un bâtiment de commerce est entendu par le sonar d'un sous-marin d'une frégate, notamment par ce qu'on appelle le bruit rayonné, qui peut être composé de plusieurs types de sons. Un des sons caractéristiques, c'est ce qu'on appelle le nombre de Tours Minute d'arbre, c'est-à-dire la vitesse de rotation de la ligne d'arbre qui propulse le navire auquel est aussi associé à un nombre de pales. Et lorsqu'on maîtrise cette information-là, on sait quelle est la vitesse du bateau que l'on recherche. Et en fonction de la vitesse de ce bateau, on est capable de mettre en place une idée de manœuvre. Et donc la vraie réflexion, c'est de se dire que la guerre acoustique passive permet en toute discrétion, sans élever le niveau de crise, de capter des informations techniques dont découlent des conclusions tactiques décisives pour les opérations. »

    Et c'est d'autant plus important pour un sous-marin qui par définition est aveugle, or les capteurs acoustiques sont de plus en plus puissants et par conséquent les oreilles d'or sont confrontées à une inflation de données, souligne le commandant Magnan.

    « Au début des années 2000, un opérateur Sonar disposait d'un équipement qui lui permettait d'entendre à environ 20 km et de traiter simultanément une dizaine de contacts acoustiques. Aujourd'hui, on est plutôt sur des sonars capables de détecter jusqu'à presque 200 km et permettent de traiter simultanément presque une centaine de pistes acoustiques. Ce qui fait qu'effectivement le volume de données à traiter, s'est considérablement augmenté. La conséquence directe et que pour les oreilles d'or à la mer, pour l'analyse de tous ces contacts acoustiques, il y a un engagement humain qui est beaucoup plus important qu'auparavant. »

    Les algorithmes de Preligens

    L'intelligence artificielle va permettre de discriminer les sons beaucoup plus rapidement. Et c'est là qu'intervient une pépite française, Preligens, bien connue pour ses analyses d'images spatiales, l'entreprise a mis ses algorithmes au service de la guerre acoustique. Un démonstrateur a vu le jour l'an dernier, avec une première expérience. Douze jours durant, la Marine a enregistré tous les bruits de la mer au large de Toulon.

    « Ces 12 jours-là ont nécessité d'être annoté pour pouvoir entraîner des algorithmes d'intelligence artificielle. Il nous a fallu presque une quarantaine de jours pour annoter ces 12 jours de travaux », souligne Vincent Magnan. « Désormais, avec l'algorithme et les démonstrateurs obtenus, on injecte 12 jours d'enregistrements acoustiques dans la machine, et en quatre heures à peu près, la machine nous sort les phases sur lesquelles les analystes peuvent aller apporter leurs compétences métier. Ce qui signifie que de 40 jours initiaux, on est passé plutôt à 5-6 jours. L'objectif, c'est être capable d'analyser de plus en plus de données. En 2020, le CIRA recevait annuellement environ un téraoctet de données. En 2024, on est plutôt sur 10 téraoctets de données acoustiques. On dépassera certainement les 100 Terra à l'horizon 2030. »

    Mais l'IA ne peut pas tout, les oreilles d'or seront toujours décisives, assure Vincent Magnan. « C'est bien l'objectif de dire qu'une fois qu'on a vu un bateau, on sera capable de le revoir à chaque fois qu'il rentrera dans notre volume de détection. À la nuance près, qui est quand même très importante et qui rend l'application de l'intelligence artificielle assez complexe, c''est que le même bateau, vu en Méditerranée en janvier et vu en Atlantique Nord en décembre, ne fera pas le même bruit. Parce que l'environnement acoustique aura changé, parce que peut-être que les paliers de sa ligne d'arbre auront été abîmés ou auront été corrodés, peut-être parce qu'il y aura des concrétions sur sa coque, qui modifieront sa cavitation. Et donc le bruit rayonné ne sera pas tout à fait le même. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, si l'intelligence artificielle permet de détecter globalement les grandes caractéristiques d'un bateau, il faudra aussi le savoir-faire de l'homme pour aller chercher vraiment les éléments discordants par rapport à une interception précédente par exemple. »

    Les oreilles d'or sont rares, il n'y a pas plus d'une trentaine d'analystes dans la Marine. L'IA va leur permettre de se concentrer sur les écoutes d'intérêts, quant à la machine, elle permettra d'écarter les bruits des crevettes et des cachalots.

    18 May 2024, 10:22 pm
  • 2 minutes 35 seconds
    Unseenlabs, pépite française du «New Space»

    Spécialiste de la détection de radiofréquence par satellite, la start-up Unseenlabs s'est imposée dans le domaine de la surveillance maritime. Basée à Rennes cette jeune pousse multiplie les levées de fonds et affiche des ambitions à la frontière du spatial civil et militaire. Zoom sur le « New Space » français.

    Attention pépite ! Unseenlabs a vu le jour il y a dix ans. Les frères Galic, Clément Benjamin et Jonathan ont saisi les opportunités offertes par les nano satellites pour détecter et localiser en mer avec une extrême précision n'importe quel navire grâce à ses émissions électromagnétiques.

    Ce fut une première révolution, nous explique Clément Galic : « Nos satellites sont des antennes dans l'espace qui peuvent capter des signaux radiofréquence. Ça, c'est un domaine qui était réservé. C'était la chasse gardée de la défense - pour la défense dure - jusqu'à ce que nous décidions en 2015 d'ouvrir ce marché au monde de la sécurité civile et du privé.

    Donc, tout part de trois frères qui ont envie de tenter l'aventure spatiale, de placer en orbite un instrument capable de localiser les sources d'émissions radio fréquence. On s'est dit : on est des ingénieurs mais on crée une boîte privée qui devra gagner de l'argent, essayons au moins dans un premier temps, de nous attaquer à un marché que l'on sait en besoin de nouveaux types de données.

    C'est comme ça qu'on s'est focalisé sur la surveillance maritime. Ca va intéresser ce qu'on appelle 'l'action de l'État en mer'. Nous, l'essentiel de nos activités, c'est la lutte contre la pêche illégale. Donc ce n'est pas de la défense dure, c'est de la police des mers en fait. Et on a le pendant privé qui vont être les armateurs, les assureurs : on va pouvoir leur apporter des données qui vont renseigner plus finement sur la réalité des trafics maritimes ».

    Avec leur technologie et leur constellation de 13 nano-satellites, les ingénieurs d'Unseenlabs peuvent cartographier la position des bateaux, y compris détecter les navires qui auraient coupé leur système d'identification automatique comme le font régulièrement des bateaux russes qui s'arrêtent au large de l'Irlande, à la verticale d'un câble sous-marin stratégique.

    Adapter le système à n'importe quel type d'émetteur

    Forte de ce savoir faire, l'entreprise rennaise souhaite élargir ses capacités de surveillance au domaine terrestre pour traquer les brouilleurs, un sujet saillant notamment en Ukraine où les brouillages antidrones sont omniprésents.

    « Un brouilleur, reprend Clément Galic, Pdg d'Unseenlabs, c'est une grosse machine, qui est un gros camion qui envoie ce qu'il faut en radiofréquence pour brouiller tout ce qui passe autour.

    Nous depuis l'espace, on sera capable de localiser ces sources de brouillage, de les caractériser et d'expliquer aux intéressés, comment contre-brouiller, pour pouvoir agir. Aujourd'hui ce qu'on fait, c'est de localiser des bateaux, et bien on fera la même chose pour les brouilleurs. Et en fait, l'idée c'est vraiment de répliquer ce marché du maritime à n'importe quel type de marché, n'importe quel type d'émetteur. Nous, on n'a pas le rôle de se substituer à l'Etat, par contre, ce qu'on apporte, c'est une capacité qui va coûter moins cher pour compléter ou soulager peut-être des services patrimoniaux, grâce à nos données. Donc c'est du complémentaire ». 

    Unseenlabs, n'a qu'un concurrent américain, et pour continuer à mener la course en tête, la pépite tricolore envisage dès 2026 de lancer une flotte de satellites de 150 kilos, de nouvelle génération.

    À lire aussiPicSat, premier nanosatellite du CNRS, mis en orbite pour épier une exoplanète

    12 May 2024, 6:26 am
  • 3 minutes 16 seconds
    France: la fin d'une dissuasion nucléaire chimiquement pure?

    Le 27 avril, Emmanuel Macron s'est de nouveau dit prêt à ouvrir le débat d'une défense européenne qui comprendrait aussi l'arme nucléaire. Une inflexion se fait jour, dans une doctrine qui jusque-là érigeait la dissuasion comme une défense strictement nationale. 

    « Dissuasion nucléaire chimiquement pure », la formule est celle du diplomate Nicolas Roche, dans Les mondes en guerre publié en 2021. Il soulève la singularité d'une dissuasion française strictement vouée à menacer de riposte un agresseur pour empêcher la guerre.

    Une arme placée exclusivement entre les mains du président faisant de la France une monarchie nucléaire, reposant sur une doctrine qui, ces trente dernières années, n'a connu que de rares évolutions, précise l'historien Yannick Pincé, chercheur au centre interdisciplinaire sur les enjeux stratégiques : « On a notamment renoncé à l'armement tactique qui représente en fait les armes nucléaires qui visaient des objectifs militaires. Jacques Chirac a renoncé au ciblage démographique pour cibler en fait ce que l'on appelle des dommages inacceptables sur les adversaires. Et on est passé de trois composantes nucléaires, donc Terre, Mer et Air à deux composantes, Terre et Air. »

    Deux composantes donc, les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins dotés de leurs missiles balistiques stratégiques M51 et la composante aérienne avec les chasseurs-bombardiers Rafale et leurs missiles ASMP-A, au service d'une doctrine invariable. Invariable jusqu'au bouleversement majeur de la guerre en Ukraine et d'un éventuel retrait du parapluie nucléaire américain comme le laisse entendre le candidat Donald Trump.

    Dissuasion nucléaire

    La dissuasion nucléaire est un outil de souveraineté impossible à partager, et ce, pour une raison simple : qui appuierait sur le bouton ? Mais depuis le discours de Toulon en 2022, Emmanuel Macron indique qu'il souhaite « européaniser » la capacité de dissuasion nucléaire. Les intérêts vitaux de la France s'étendent à l'Europe, précise le président français. Une réassurance qui, en filigrane, existe déjà pointe Yannick Pincé : « Rien que la présence de soldats français à l'Est, est une forme de réassurance nucléaire, puisqu'en cas d'offensive russe contre un pays d'Europe de l'Est, ça passerait par des combats contre des soldats français, contre des soldats d'une puissance nucléaire, ce qui ferait réfléchir à la base. Mais on peut imaginer tout un tas de dispositifs qui maintiendraient la souveraineté française sur nos armes nucléaires. Par exemple, comme on l'a fait lors de nos exercices aériens, on peut inclure des avions alliés dans nos exercices de raid nucléaire. On peut aussi stationner des rafales dans des pays alliés, sur le modèle de ce que pratiquent les Américains au niveau de l'Otan. C'est-à-dire que les armes nucléaires resteraient gardées par des soldats français et resteraient en fait dépendantes d'un ordre d'engagement du président de la République française. Donc ce n'est pas vraiment un partage, c'est plus une européanisation et une forme de réassurance vis-à-vis de nos alliés. »

    À lire aussiNucléaire français et défense européenne, Emmanuel Macron relance un épineux débat

    Reste que ces inflexions constituent un véritable tournant dans la dissuasion nucléaire, assure l'historien Yannick Pincé : « On ose désormais parler de dialogue avec nos alliés sur la défense européenne qui inclurait notre dissuasion nucléaire. On ose aussi envisager l'échec de la dissuasion. C'est le chef d'état-major de l'armée de terre Pierre Schill qui a parlé de ça il y a quelques semaines. Très exactement, il ne parlait pas d'échec de la dissuasion, il évoquait une agression sous le seuil des intérêts vitaux, c'est-à-dire sous le seuil nucléaire, donc on ne voit plus en fait notre force nucléaire comme étant uniquement quelque chose qui empêche la guerre. »

    La dissuasion nucléaire n'est plus garante d'une paix absolue, elle n'est pas un rempart contre la guerre hybride, sous le seuil du conflit ouvert et dont la Russie s'est fait une spécialité.

    5 May 2024, 6:04 am
  • 2 minutes 45 seconds
    La genèse d'une nouvelle force aérienne ukrainienne

    La Belgique, les Pays bas, le Danemark et la Norvège doivent, d'ici à quelques mois, céder à Kiev une cinquantaine d'avions F-16. Les dix premiers pilotes ukrainiens à être formés en Europe arrivent progressivement en France, où ils reçoivent de la part de l'armée de l'air française une formation complète de pilote de chasse. Pendant six mois, dans une base du Sud-ouest, ils vont apprendre les rudiments du métier pour prochainement prendre les commandes des F-16 tant espérés par Kiev.

    Les forces aériennes ukrainiennes, d'ici à quelques mois, vont passer des avions de l'ère soviétique au F-16. Soit un véritable saut dans l'aviation de combat de ce siècle qui pourra potentiellement modifier les rapports de force, souligne Jean-Christophe Noël, chercheur à l'Ifri et responsable de la revue Vortex.

    « Les nouveaux F-16 vont avoir des détecteurs de menaces, explique-t-il. Si vous êtes accroché par un radar, avant les pilotes ukrainiens ne le savaient pas, là, ils vont avoir une alerte et donc vont pouvoir agir en conséquence. Ils vont pouvoir aborder les combats aériens d'une autre façon. On arrive dans quelque chose qui est un petit peu ouvert, un petit peu inconnu : des tactiques pouvant inquiéter les Russes vont-elles se mettre en place afin de repousser les avions adverses du champ de bataille ? »

    « Tout va dépendre de ce qu'on va mettre sous les ailes du F-16. Jusqu'où vont aller les Américains, notamment dans l'adaptation des armements qu’ils peuvent amener ? Est-ce qu'ils vont d'abord juste essayer de chasser les avions russes de l'air ou vont-ils essayer de détruire les batteries anti-aériennes ? Vont-ils essayer de diminuer l'efficacité du dispositif russe en frappant dans la profondeur ? Ou tout ça en même temps, mais sur des points très précis ? Ça, c'est l'avenir qui le dira »,ajoute Jean-Christophe Noël.

    Dix pilotes formés en France

    Les 10 pilotes formés en France sont âgés de 21 à 23 ans et la majorité d'entre eux n'avait jamais pris place dans un cockpit. Une formation accélérée aux standards de l'Otan pour former l'ossature d'une aviation de combat qui sera composée d'équipages très disparates, indique Jean-Christophe Noël. « Vous avez des gens qui n'auront pas d'expérience aéronautique, qu'on va former et qui vont être jetés dans le grand bain. Vous aurez d'anciens pilotes qui ont été formés "à la soviétique", dont on va tordre un petit peu la formation pour leur apprendre justement à réfléchir plutôt comme un pilote occidental. Mais ils auront une expérience. »

    « Il y aura peut-être aussi des mercenaires. Les Ukrainiens, à un moment, ont fait passer des messages comme quoi ils étaient intéressés pour recruter d'anciens pilotes, notamment de F-16. Après, la difficulté, ça va être de mettre tout ça un petit peu en musique, c'est-à-dire apprendre à voler en formation. Donc, il ne faut pas imaginer que dès que les F-16 vont arriver, ça va être la bataille d'Angleterre. Je pense qu'on va plutôt d'abord aller se renifler un petit peu, voir comment on réagit, comment on s'adapte, etc. », précise-t-il.

    Douze techniciens pour un pilote

    Aller « se renifler un petit peu », donc, mais les forces aériennes de Kiev vont aussi devoir apprendre à entretenir ces F-16. Pour un pilote, il y a autour du F-16 douze techniciens et mécanos, avec, pointe Jean-Christophe Noël, des procédures strictes à respecter : « Si vous avez 50 avions, il n’y a pas 50 avions en l'air. Il y a des avions qui vont être au sol, en maintenance, qu’il va falloir réparer régulièrement et qui vont avoir des pannes. Quelque chose qui est sensible sur le F-16, c’est la bouche du réacteur. Sous le fuselage de l’avion, il y a une énorme entrée d’air. On appelle aussi cela un aspirateur à FOD, pour "foreign object damage". Le FOD, c'est tout ce qu'un réacteur peut avaler : si vous avez des pierres, si vous avez des tas de choses qui traînent sur un tarmac, ça peut détruire le réacteur. Donc il faut vraiment prendre des précautions sur tous les aspects de logistique autour du F-16. » 

    Les premiers vols opérationnels des F-16 aux couleurs de l'Ukraine sont espérés fin 2024, au plus tôt.

    À écouter aussiFrance-Russie: escalade verbale et signalement stratégique

    28 April 2024, 4:27 am
  • 2 minutes 52 seconds
    Export d'armes françaises: l'impasse africaine

    La France en 2023 s'est hissée à la deuxième place des pays exportateurs d'armes dans le monde, nous en parlions dans Lignes de défense la semaine dernière... Mais derrière ce succès il y a un trou dans la raquette, et cette faille, c'est le continent africain. Paris exporte ses armes partout, mais quasiment pas en Afrique alors que l'armée française y est présente, un paradoxe. Décryptage.

    Quelques chiffres pour illustrer ce vide. Dans les autorisations d'export délivrées en 2022,  76 % sont à destination de l'Europe, 12 % vers le Moyen-Orient, 6 % l'Amérique du Nord, 3 % l'Afrique du Nord, 2 % l'Amérique du Sud, 1 % en Asie... Dans ce camembert, l'Afrique subsaharienne n'apparait pas. Sur une décennie, de 2013 à 2022, l'Afrique subsaharienne n'a représenté qu'1,5 % de l'exportation d'équipements militaires français. C'est marginal, quelles en sont les raisons ?  

    À l'occasion d'une conférence de presse, nous avons posé la question il y a quelques jours à Sébastien Lecornu, ministre des Armées : « C'est une très bonne question qui tient beaucoup à notre logiciel, pour être complètement transparent. Déjà, la présence militaire française a plutôt acculturé ce ministère et aussi le partenaire qui pouvait nous accueillir. Une logique de 'on fait à la place de'. Quand j'ai demandé à Emmanuel Chiva, le délégué général pour l'Armement de se rendre en Afrique, nous sommes aperçus que jamais un DGA français n'avait mis les pieds officiellement en Afrique. Tout est dit. On a laissé un terrain trop important à un certain nombre de concurrents. D'ailleurs, c'est le ministre Ouattara, en Côte d'Ivoire, qui m'a fait prendre conscience de cela. Ils ont des budgets, le Sénégal pareil qui est un pays qui va en plus être un pays producteur d'hydrocarbures, qui va donc devoir se protéger de menaces terroristes particulières, singulièrement en mer. Mais on voit bien qu'on a une modification des armées africaines. Ce sont souvent des armées françaises qui participent à cette montée en puissance. Mais restait justement le bloc capacitaire. Et on le voit sur les drones par exemple, on le voit sur les petits bateaux, on le voit aussi peut-être demain sur des petits aéronefs sur lesquels on a évidemment des coups à jouer. »

    Une arme sur deux sur le continent africain est une arme russe

    Les Russes et les Chinois sont présents depuis longtemps, mais depuis quelques années de nouveaux compétiteurs se positionnent sur ce marché.

    Les Turcs par exemple sont les nouveaux entrants en Afrique, avec une vraie stratégie d'implantation... Turkish Airlines a ouvert ces trois dernières années plus de soixante escales sur le continent, une dynamique qui profite à son industrie de défense. Peer de Jong, vice-président de Themiis (société de conseil en stratégie et défense), conseille plusieurs gouvernements sur les questions de sécurité ; il a vu les Turcs proposer, via des sociétés militaires privées, des offres séduisantes all inclusive, « Par le truchement de structures, comme SADAT, qui sont des SMP turcs qui depuis une dizaine d'années ont un peu le même 'business modèle' entre guillemets que Wagner, c'est-à-dire proposant à la fois la formation des troupes, la cession et la vente de matériels. Et on voit en Afrique aujourd'hui, qu'il y a une diffusion d'un armement turc de qualité, qui concerne principalement tout ce qui est transport de troupes, armement individuel, mais aussi les drones. Donc les armées africaines arrivent à s'équiper à un coût relativement abordable sur des matériels qui théoriquement sont inaccessibles en Europe. »

    Les armées africaines se modernisent à grand pas, exemple avec le drone TB2 Bayraktar, star de la guerre en Ukraine dont une dizaine de pays africains a déjà passé commande au constructeur turc. Un marché en pleine expansion et qui pour l'heure échappe aux fabricants français.

    21 April 2024, 5:15 am
  • 2 minutes 30 seconds
    Exportation d'armes: la France sur le podium mondial

    Les importations d'armes en Europe ont quasiment doublé ces 5 dernières années. L'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), dévoile que sur la période 2019-2023, guerre en Ukraine oblige, les importations d'armes ont bondi de 94 %. Et pour la première fois, note l'institut de Stockholm, la France se hisse sur la seconde marche des pays exportateurs, reléguant la Russie au 3e rang.

    Depuis 2019, la France a en effet vu ses ventes à l'internationale bondir de 47% quand la Russie voyait les siennes chuter de 53%. Un sérieux revers pour Moscou, revers d'autant plus marquant qu'il intervient dans une période de fortes tensions entre les deux pays.

    Bien sûr, dans cette compétition, les États-Unis restent de très loin les premiers exportateurs d'armes au monde, raflant à eux seuls 42 % du total des ventes. Néanmoins, il faut le souligner : jamais la France n'avait occupé cette deuxième place, précise Léo Péria-Peigné, spécialiste de l'armement à l'Institut français pour la recherche stratégique, voici, à ses yeux, les raisons du succès : « Je pense qu'on peut en voir deux principales, il va y avoir d'abord le recul des exportations d'armes russes, conséquence de la guerre en Ukraine, l'industrie russe produisant d'abord pour la consommation nationale plus que pour l'export et dans un second temps, il y a les très gros succès de quelques produits spécifiques de l'industrie française comme le Rafale ou quelques systèmes électroniques qui sont des systèmes à très haute valeur ajoutée. Donc ce n'est pas la peine d'en vendre beaucoup, leur prix fait que ça va peser lourd dans la balance. »

    Des armes Itar Free

    Ce succès tient aussi au fait que les armes françaises sont Itar Free, ne relevant pas de la réglementation américaine sur les ventes d'armes qui sont généralement très restrictives. Les pays qui achètent du matériel français le possèdent totalement.

    Un argument de poids au moment de signer des contrats XXL, mais pas seulement, il y a aussi une autre raison au choix de matériels tricolores assure Léo Péria-Peigné : « Quand l'Inde achète du Rafale, ce n'est pas forcément pour la qualité du Rafale en soi, mais c'est aussi parce que le Rafale peut porter des armes que les États-Unis seront plus réticents à vendre. Je pense notamment aux missiles. Pour ce qui va être de l'achat des Émirats ou du Qatar, c'est aussi une façon de renforcer une alliance. La France a des troupes postées au Qatar qui font de la formation, qui font de la réassurance. Acheter des armes à la France pour les Émirats, c'est aussi une façon de sceller une alliance et de la durcir. Pareil quand la Grèce achète des rafales, oui, c'est important, mais la Grèce aussi s'attache un peu le soutien de la France dans ses bisbilles avec la Turquie. »

    Acheter français, c'est aussi une manière de ne pas s'aliéner les États-Unis. La Turquie en a fait l'expérience : en s'équipant de batterie sol-air Russe S-400 : elle s'est ainsi retrouvée exclue de l'achat d'avions F-35. Le matériel français, c'est le choix d'une troisième voie, plus neutre, c'est aussi l'une des raisons du succès de l'industrie de défense française.

    13 April 2024, 10:15 pm
  • 3 minutes 1 second
    75 ans de l'Otan: l'Alliance atlantique à la croisée des chemins

    Le 4 avril, les membres de l'Otan réunis à Bruxelles, ont célébré les 75 ans de la signature du traité de l'Atlantique Nord. Avec le retour de la guerre sur le sol européen, l'Otan joue de nouveau un rôle central et considère une nouvelle fois Moscou comme une menace majeure. Mais l'Alliance atlantique craint également de traverser une sérieuse zone de turbulence lors des élections américaines de 2024.

    Pour célébrer cet anniversaire, le département d'État a autorisé l'envoi à Bruxelles du traité signé en 1949. Jamais jusque-là le document n'avait quitté le sol américain. Un symbole pour dire qu'avec la récente adhésion de la Suède et de la Finlande et donc désormais 32 membres, l'Otan n'a jamais été aussi forte. Depuis l'invasion de l'Ukraine en 2022, souligne Guillaume Garnier chercheur à l'Ifri, l'alliance a en effet retrouvé ses fondamentaux, la protection de l'Europe face à une Russie belliqueuse : « Concrètement, cela a consisté à renforcer la posture de défense sur le flanc est en déployant davantage de troupes. Un bataillon multinational dans chacun des huit pays du flanc est, il y en avait déjà quatre dans chacun des États baltes et la Pologne, on en a ajouté quatre autres en Bulgarie, Roumanie, Slovaquie et Hongrie. Ce sont des forces qui sont prépositionnées, c'est-à-dire qu'elles pourraient être renforcées si la situation se dégradait rapidement. »

    Une métamorphose pour une organisation qui était jugée en état de « mort cérébrale » par le président français Emmanuel Macron en 2019. Après des années de désaffection, la France a réinvesti l'Otan et participe aujourd'hui massivement à Steadfast Defender, le plus grand déploiement militaire otanien depuis la guerre froide, avec pour ambition d'envoyer à Moscou, un message de portée stratégique. « Si vous voulez dissuader un adversaire potentiel comme la Russie, il faut lui démontrer que vos forces sont interopérables, professionnelles et crédibles, indique Guillaume Garnier. Ça se fait par l'entraînement. Un entraînement à la hauteur de l'enjeu, c'est-à-dire avec des exercices de grande ampleur pour montrer que l'on est capable de s'organiser autour d'une certaine masse de soldats, de plusieurs dizaines de milliers d'hommes, et à travers ces exercices, il y a aussi une idée de contrôle des forces. L'Otan vérifie leur aptitude et vérifie que tous les États membres de l'Otan ont des unités aptes au combat. »

    Inquiétude des Européens sur le potentiel retour de Donald Trump

    Le candidat républicain a d'ores et déjà annoncé qu'il pourrait remettre en cause l'article 5 qui garantit la solidarité entre membres de l'Otan. Un désengagement américain, pointe Guillaume Garnier, est par conséquent dans tous les esprits : « Les États-Unis représentent 70% des dépenses militaires de l'Otan. Donc l'article 5 repose sur la force militaire des États-Unis. Si jamais ils quittaient l'Otan, ce serait une autre organisation, elle changerait de nature. Ça, c'est le scénario cauchemar. Va-t-il se réaliser si jamais Trump est effectivement élu ? Il y a quand même un point d'interrogation puisqu'il y aura des débats et probablement de nombreuses institutions le dissuaderont de le faire. »

    Le secrétaire général de l'Otan, Jens Soltenberg qui dans quelques mois quittera ses fonctions, a une nouvelle fois plaidé la nécessité d'un meilleur partage du fardeau financier entre Européens et Américains, évoquant également la constitution d'un fond d'un milliard d'euros sur cinq ans pour l'Ukraine.

    À lire aussiL’avenir de l’Otan en préparation et en débat

    7 April 2024, 5:14 am
  • 3 minutes
    La médecine civile à l'heure de la guerre de haute intensité

    Guerre de haute intensité en Ukraine, retour des attentats terroristes de masse après l'attaque revendiquée par le groupe État islamique à Moscou, les menaces se multiplient, avec pour corollaire de préparer les médecins à réapprendre les gestes de la médecine de guerre, dite « de l'avant ». Le service de santé des armées forme les médecins et infirmiers civils aux techniques de sauvetage au combat, pour savoir comment prendre en charge un grand nombre de blessés avec un minimum de moyens.

    Rencontre au Val-de-Grâce à Paris avec Benoît Plaud, médecin réanimateur à l'hôpital Saint-Louis et également réserviste opérationnel au sein du service de santé des armées. Il est médecin en chef, et c'est d'ailleurs en treillis militaire qu’il nous reçoit. En 2015, Benoit Plaud a été en première ligne lors des attentats, ce qui a été pour lui le déclencheur pour rejoindre la réserve opérationnelle.

    Depuis, Benoît Plaud multiplie les formations au sauvetage au combat. L'état d'esprit change dans la médecine civile, note-t-il, « L'idée, c'est vraiment que le plus grand nombre maîtrise ces gestes de base, un peu comme du secourisme. D'essayer que le plus grand nombre d'équipes soignantes qui sont autour de l'anesthésie réanimation soient formées à ces gestes, car le moment venu, de par notre formation, il y a une continuité, je dirais assez naturelle pour nous. Pouvoir être opérationnel immédiatement, travailler sur le collectif, la cohésion, c'est des choses aussi qu'on travaille beaucoup. Le sauvetage au combat, on le dit souvent, c'est un sport d'équipe, donc il faut avoir la notion du collectif, de la cohésion, de la confiance. Et ça, ça s'apprend. »

    Passer de la Golden Hour au Golden Day

    Modifier les logiciels, les pratiques : jusqu'à présent, la règle de prise en charge était d'amener le blessé au bloc opératoire en moins d'une heure. Chose impossible à faire avec beaucoup de blessés. Une nouvelle médecine de guerre est donc en train d'émerger, qui doit aussi irriguer la médecine civile. « Typiquement aujourd’hui, pendant que vous êtes là, on fait des exercices de ce type avec des médecins du Samu qui apprennent ces techniques de sauvetage au combat en utilisant des algorithmes », explique-t-il. 

    « Vous avez peut-être entendu parler du M.A.R.C.H. par exemple, qui est une succession d'étapes pour prendre en charge un blessé qui saigne, un blessé qui a du mal à respirer, un blessé qui est en état de choc, un blessé qui a des problèmes neurologiques. L’objectif majeur, c'est de permettre l'évacuation du blessé vivant. C'est vrai qu'avec le retour de la guerre de haute intensité, ce modèle va devoir évoluer, compte tenu du nombre très important de blessés à prendre en charge. Donc du Golden Hour, on va passer au Golden Day. Il va falloir apprendre à prendre en charge ces blessés dans la durée », ajoute Benoît Plaud.

    Problèmes éthiques

    Prendre en charge un grand nombre de blessés, c'est aussi faire un tri, ce qui peut poser des problèmes éthiques au corps médical.

    Il existe cependant des méthodes pour que cela ne soit pas justement un tri, pointe Benoit Plaud, « Au mot de tri, je préfère celui de priorisation. Plutôt que de dire "on va prendre en charge ou pas tels types de victimes", on revient à des schémas opérationnels très cadrés qui permettent de rechercher parmi le grand nombre de victimes ceux qui nécessitent des soins immédiats. La première chose à rechercher, c'est le saignement », précise-t-il.

    « Donc, cette phase-là de priorisation permet de réaliser des gestes de sauvetage instantanés qui peuvent parfois suffire à gagner du temps pour pouvoir prendre en charge d'autres victimes dans un état moins grave. C'est vraiment de l'organisation et de la logistique. Il y a une vraie réflexion médicale, stratégique, organisationnelle, parce que l'objectif, il ne faut pas l'oublier, c'est de sauver le plus grand nombre de blessés, avec les moyens dont on dispose », témoigne le médecin.

    La médecine d'urgence est en pleine révolution et le service de santé des armées est à la pointe des nouvelles techniques de prise en charge dans un contexte de guerre de haute intensité.

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    31 March 2024, 4:07 am
  • 2 minutes 35 seconds
    France-Russie: escalade verbale et signalement stratégique

    L'escalade verbale ne cesse de croitre en Russie contre la France depuis qu'Emmanuel Macron a déclaré que l'envoi de militaires occidentaux en Ukraine ne pouvait être exclu. Menace nucléaire régulièrement brandie sur les plateaux de télévision russe, menace contre la sécurité du président français s'il se rendait en Ukraine, propos orduriers contre le Premier ministre Gabriel Attal ... Face à cette escalade verbale, Paris multiplie les signalements stratégiques comme autant de lignes rouges à l'adresse de Moscou.

    Les outrances russes se multiplient et gravissent à grands pas l'échelle de la provocation. Dernier exemple en date, l'affaire des petits soldats : mardi 19 mars, l'ambassade de France à Moscou a reçu une boîte de jouet contenant des petits soldats aux couleurs de la RossGardia, la garde prétorienne de Vladimir Poutine, chargée notamment du maintien de l'ordre en Ukraine occupée. Message, on ne peut plus clair, à l'adresse des autorités françaises :  Paris est la bête noire du Kremlin. Mais les autorités françaises ne font plus le dos rond : lors d'une conférence de presse conjointe avec son homologue suédois ce jeudi, le Général Burkhard, chef d'état-major des armées, a réaffirmé que le soutien occidental pourrait aller au-delà de la seule livraison d'armes et il a lâché le mot « guerre » pour parler de la Russie. « La Russie est déjà un peu en guerre avec les pays occidentaux. Dans le champ des perceptions, la Russie, depuis déjà de nombreuses années, mène une guerre informationnelle pour déstructurer nos sociétés. Ça se traduit par des attaques cyber. Ce n’est pas forcément quelque chose qui cherche à promouvoir les idées russes, mais c'est plutôt quelque chose qui cherche à fragiliser les sociétés occidentales et en particulier le modèle démocratique. »

    Afficher sa détermination, c'est déjà pour le Général Thierry Burkhard « gagner la guerre avant la guerre » et pour cela, « il est prêt » dit-il, à « prendre des risques ». Message ferme et partagé par le chef d'état-major suédois, le Général Micael Byden. « Nous avons une guerre qui fait rage en Europe. Pour moi, il est clair que cette réalité doit être au sommet de nos agendas. Nous ne pouvons pas laisser la guerre en Ukraine devenir une sorte de normalité et la laisser végéter sur la liste de nos priorités. Si nous le faisons, nous jouerons alors le jeu de la Russie. Naturellement, la Suède contribuera aux opérations de l'Otan dans les pays de l'Otan, mais aussi au-delà. Nous devons regarder à 360°. Bien sûr, nous vivons des moments difficiles, mais il ne faut pas désespérer et faire un effort conjoint. C'est la quintessence de mon message. »

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    Double signalement stratégique

    Après l'ambiguïté stratégique sur l'envoi de soldats en Ukraine, second signalement de la conférence de presse des deux chefs d'état-major : la récente arrivée de la Suède et de la Finlande dans l'Otan bouleverse les équilibres sur le flanc Nord européen. Général Thierry Burkhard : « Cette entrée dans le temps, bien évidemment, c'est quelque chose qui augmente encore la crédibilité de l'Alliance atlantique. D'autant plus que la Suède est un apport précieux. C'est une armée de grande valeur, bien équipée, bien entraînée. Mais c'est aussi une position stratégique. Quand la Suède et la Finlande basculent dans l'Otan, ça modifie complètement la géométrie du champ de bataille, ça rend un flanc nord beaucoup plus cohérent et beaucoup plus fort. Aujourd'hui, la mer Baltique, c'est un lac Otanien, c'est exactement ça. »

    La France et l'Otan montrent donc les muscles et face à une Russie belliqueuse envoient à Moscou ce message : en attaquant l'Ukraine, la Russie a commis une erreur stratégique.

    24 March 2024, 5:43 am
  • 2 minutes 39 seconds
    Nordic Response: l'Otan fait son grand retour en Arctique

    Au début du mois de mars, l’Otan a donné le coup d’envoi de Steadfast Defender 2024. Le plus grand exercice jamais organisé depuis la Guerre froide, une manœuvre qui se décline des plaines de Pologne jusqu’à l’arctique Norvégien avec l’exercice Nordic Response qui s’achève ce dimanche. Dans l'arctique l'Alliance veut se réapproprier l'environnement "Grand Froid". Reportage.

    16 March 2024, 12:29 pm
  • 2 minutes 37 seconds
    Otan: l’entrée de la Suède et de la Finlande bouleverse les équilibres en Arctique

    La Suède est devenue le 32e membre de l'Alliance atlantique. Stockholm, désireuse de rejoindre l'Alliance atlantique depuis l'invasion russe de l'Ukraine il y a deux ans, a rompu, tout comme la Finlande, avec une politique de neutralité et de non-alignement militaire depuis la fin de la Guerre froide. L’entrée de ces deux pays nordiques dans l’Otan risque de bouleverser les équilibres en Arctique. Entretien avec Mikaa Mered, spécialiste des enjeux géoéconomiques et stratégiques de l'Arctique et de l'Antarctique.

    RFI : Mikaa Mered, est-ce que l'entrée dans l’Otan de la Finlande et de la Suède change complètement la donne, face à la Russie et comment la Russie peut-elle réagir ?

    Ça change la donne de plusieurs manières. La première, c'est tout simplement déjà dire que parmi les huit pays de l'Arctique, les huit pays riverains, donc, du Grand Nord, avant, on avait cinq pays qui étaient effectivement dans l'Otan. On avait la Russie de l'autre côté. Et puis, on avait entre les deux, la Finlande et la Suède, qui jouaient un peu ce rôle de tampon, qui menaient un certain nombre d'exercices avec l'Otan, mais plus comme observateur ou autre.

    Évidemment, on avait quand même des correspondances et des relations. Mais là, on va passer dans un cadre inédit en Arctique, à sept contre un. Très clairement, tous les pays de l'Arctique sont coalisés contre la Russie dans une certaine mesure, ou en tout cas sont coalisés au sein de l'Alliance atlantique. Ça, c'est le premier point. Et c'est un environnement complètement nouveau puisque, même du temps de la guerre froide – ou même avant – on n'avait pas ce genre de configuration en Arctique.

    Le deuxième sujet, c'est que, après des siècles de tentatives de construction eurasienne et européenne avec la Russie, Moscou s’est tourné, à la faveur des récents événements, vers la Chine. Or, la Chine s’est déclarée être un pays dit « du Proche Arctique ». Ils ont inventé ce concept dès 2018, bien avant la nouvelle guerre en Ukraine. La Chine cherche évidemment à prendre de plus en plus pied en Arctique. Donc la question qui va se poser par rapport à ça, maintenant que la Russie et la Chine ont cette alliance, qui, de fait, se renforce à la faveur de ce qui se passe sur le front européen, et de savoir quelle place les Russes vont laisser à la Chine en Arctique. C'est là pour moi que va se situer le cœur du sujet dans les dix années qui viennent.

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    Les Russes ont-ils les moyens, justement, de repositionner des forces militaires dans le Grand Nord, alors qu'ils sont occupés ailleurs, en Ukraine ?

    C'est l'un des sujets, c'est-à-dire qu'on attend évidemment toute déclaration de Moscou. Comme si ce qui se passait sur le front européen d'un point de vue militaire, ou ce qui se passait d'un point de vue économique également, n'impactait pas du tout l'Arctique, au sens où la Russie indique qu’elle va continuer à investir sur sa flotte en Arctique, sur ses moyens militaires au sens, cette fois-ci, des infrastructures, des bases, des équipements aériens et d'observation. Continuer à investir comme si de rien n'était. Comme s'il n’y avait pas un gouffre financier qui attirait beaucoup de capitaux d'État vers le front ukrainien et au-delà.

    Et puis, le deuxième sujet, c'est le volet économique. C'est-à-dire qu'on entend la Russie dire que la route maritime du Nord, cette route maritime qui pourrait connecter l'océan Pacifique à l'océan Atlantique par l'Arctique – des alternatives potentielles à d'éventuels blocages du canal de Suez ou de la mer Rouge. On entend le gouvernement russe continuer à dire : « bien sûr que le modèle économique de cette route du Nord est tout à fait valide. Il va continuer à se développer. Nous allons continuer à investir ». Bref, c'est comme s’il ne se passait rien.

    La réalité, c'est qu’aujourd'hui, si la Russie peut tenir ces discours-là, ce n'est pas qu'elle en a les moyens, mais c'est qu'elle a réussi à coaliser un certain nombre de partenaires qui aujourd'hui lui disent : « tu veux continuer à préserver ton pré carré en Arctique ? Tu vas avoir besoin de nous ». Et évidemment, le principal allié, c'est la Chine.

    La Chine, est-ce le loup dans la bergerie russe ?

    C'est la crainte à Moscou, et c'est une crainte de longue date. On se souvient par exemple en 2011, quand le gouvernement russe avait expliqué qu'il fallait créer une « route de la soie » par l'Arctique. À l'époque, ce concept-là venait d'eux, et pas de la Chine. Ils avaient justement émis un certain nombre de réserves quant à la possibilité de donner une trop grande place à Pékin, sur le volet économique, mais aussi sur le volet militaire, dans cette zone Arctique. Il ne voulait pas laisser le loup, ou plutôt le panda dirons-nous, entrer dans cette bergerie. Et c’est pourtant ce qui s’est passé après la première Guerre en Ukraine en 2014. Il y a eu toute une dynamique de coopération, y compris militaire, en zone Arctique qui existait entre la Russie et les États-Unis et ses alliés, qui a été relativement abîmée.

    Puis, vous avez cette deuxième guerre en Ukraine qui arrive en 2022. Et là, évidemment, c'est le coup de grâce car, au moment où les Russes attaquent l'Ukraine, Moscou assure la présidence tournante du Conseil de l'Arctique, chargée de faire vivre cette diplomatie arctique. Tout cela vole en éclat et se retrouve à terre et donc, le seul partenaire véritable qui est capable de s'engager militairement dans cette zone pour aider la Russie, c'est la Chine. Or, depuis plus de dix ans, c’était justement la crainte des Russes. La crainte de devenir un partenaire junior dans la relation bilatérale avec la Chine. Or, si Vladimir Poutine en personne incarne cette remilitarisation partielle de l'Arctique, fondamentalement, cela ne veut pas dire que la Russie entend laisser la Chine devenir le senior partenaire. Dans cette relation aujourd'hui, je ne vois pas comment à l'horizon 2025, à l'horizon 2030, la Russie pourra empêcher la Chine de devenir un partenaire au moins d'égal à égal avec la Russie dans sa zone Arctique. Et ça, il va falloir le gérer, car les Américains et l'Otan ne laisseront évidemment pas faire. Mais il faudra gérer ça aussi vis-à-vis de la population russe, qui ne comprendra pas pourquoi on a laissé la Chine entrer dans l'Arctique russe, dans le jardin, dans le joyau de la couronne.

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    Ces déséquilibres en Arctique ont-ils des répercussions de l'autre côté du globe, en Antarctique ?

    Oui, on commence à observer de nouvelles rivalités. En plus de l'émergence de la Chine qui, dans les années 2010, faisait déjà un petit peu office d'épouvantail pour beaucoup de pays occidentaux dans ce jeu antarctique, ce qu'on observe dès 2020, indépendamment de la deuxième guerre en Ukraine, on a vu la Russie reprendre pied en Antarctique en menant à nouveau des campagnes d'exploration à la recherche d’hydrocarbures.

    Dans le sillage russe, la Chine, l'Iran, la Turquie, se sont montrés intéressés par l’Antarctique. Développant des narratifs de plus en plus agressifs, disant « nous allons prendre pied en Antarctique. L'Antarctique est une zone stratégique. L'Antarctique ne peut pas être un syndic de copropriété géré par les puissances historiques de de cette zone ». Et effectivement, on a vu la Chine construire une cinquième base en Antarctique. Et ce, sans respecter les us et coutumes traditionnels de la diplomatie Antarctique. Aujourd'hui, l'Australie et la Nouvelle-Zélande manifestent une inquiétude et ces deux pays s’interrogent : « est-ce que la Chine n'est pas au Sud en train d'essayer de créer un nouveau front ? Alors pas un front militaire, mais en tout cas un front de renseignement et de captation de signaux électroniques ? ».

    On a vu l'Iran, très récemment, parler de militarisation ou d'activités militaires en Antarctique. Là, on est dans le même type de logique. On a vu la Turquie parler de présence en Antarctique comme étant un vecteur de prestige national important. Et oui, on peut faire une connexion avec ce qui se passe en Arctique, car de fait, si vous arrivez à maîtriser un environnement aussi difficile que l'Arctique, les correspondances sont tout à fait imaginables. Et la légitimité arctique de certains États est effectivement renforcée par une présence antarctique. C'est le cas par exemple de la France, où exister en Arctique permet d'exister en Antarctique. Et, il y a surtout des États qui sont prêts à jouer ces deux cartes, la carte arctique et la carte antarctique. Parce que les deux se répondent, d'un point de vue maîtrise de l'environnement, connaissance de l'environnement opératif, la mise en œuvre de brise-glace lourds. Au-delà de la maîtrise de l'environnement, il y a aussi la maîtrise de l'information. C'est-à-dire que, si vous voulez développer des constellations satellitaires qui permettent d'observer ce qui se passe en Arctique, vous allez mettre en œuvre des constellations de satellites d'observation en orbite polaire Nord-Sud. Et, à ce moment-là, évidemment, ce que vous pouvez faire en Arctique vous donne des capacités d'observation en Antarctique.

    À quelle échéance des frictions, peut-être même des affrontements sont-ils envisageables dans ces régions jusque-là désertiques ?

    Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est que personne, ni dans la communauté diplomatique, ni dans la communauté académique universitaire, n'envisage une guerre en Arctique pour l'Arctique. Personne encore moins n'envisage de conflits en Antarctique pour l'Antarctique. En fait, ce qu'on est en train d'observer, c'est la fin de l’exceptionnalisme arctique. Ce que j'entends par exceptionnalisme, c'est un concept simple qui veut dire que, jusqu'à maintenant, l'Arctique et l'Antarctique ont été relativement éloignés des grandes logiques de conflits. Jusqu’en 2022, l'Arctique a su maintenir une forme de coopération. Depuis la deuxième guerre en Ukraine, la situation est différente. La Russie a été de facto exclue du Conseil de l'Arctique. En Arctique, aujourd'hui, le dialogue de gouvernement à gouvernement n'est pas possible. Depuis 2022, on a vu les États-Unis redévelopper des infrastructures militaires fortes en Arctique. Pour, justement, essayer de dissuader la Russie et peut-être la Chine, de militariser ces régions polaires.

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    10 March 2024, 5:40 am
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